Analyse | Les Verrières rouvrent pour accueillir… le moins de monde possible
Aldo Brina
Le 15 février, l’administration fédérale a remis en service le Centre fédéral d’«asile» des Verrières, situé aux confins du Val-de-Travers, dans le canton de Neuchâtel. Pour rappel, ce centre est le seul dit « spécifique » de toute la Suisse, c’est-à-dire qu’il est prévu pour accueillir des demandeurs d’asile jugés «récalcitrants». Le SEM prévoit de n’y envoyer que des hommes. Ce type d’infrastructure disciplinaire a toujours été combattu par les défenseurs du droit d’asile car son utilisation est floue, et donc dangereuse pour les droits fondamentaux : qui est « récalcitrant » ? Comment en juge-t-on ? etc. Sa situation géographique – loin de tout – pose aussi la question de l’accès à la protection juridique, puisque les personnes qui y sont assignées sont toujours en procédure, complique le contact avec leur représentant·e juridique [1], et encourage les disparitions.
Revenons un peu en arrière: neuf mois seulement après sa première ouverture, en décembre 2018, le centre des Verrières avait été fermé. En cause: sa sous-occupation. Alors qu’une vingtaine de places était mise à disposition (en vue d’en ouvrir à terme 60) pour tous les « récalcitrants » de Suisse et un séjour d’une durée maximale de 30 jours, seules 33 personnes y avaient été assignées en neuf mois. Un fiasco pour une structure qui coûte quand même quelque cinq millions de francs par année [2].
Violence institutionnelle
Alors pourquoi rouvrir ce centre aujourd’hui? Probablement parce que, comme l’a rapporté la presse, la violence augmente dans plusieurs CFA. Les voisin·es des centres se plaignent de problèmes de sécurité (accusations de vols, agressions et cambriolages). Mais il serait trop facile d’imputer la violence aux seul·es requérant·es d’asile.D’une part les conditions de vie en CFA relèvent d’une forme de violence (diverses restrictions de droits fondamentaux). D’autre part certaines brutalités sont le fait des agents de sécurité à l’encontre des requérant·es (accusations de violences [3], mise en danger via le recours à une « salle de réflexion » [4]).
Le SEM est sommé d’agir, alors il rouvre un centre spécifique. Mais quels problèmes cette structure peut-elle résoudre ? Ne s’agit- il pas plutôt d’une stratégie de communication? Et si les accusations de délinquance devaient se vérifier,la réponse ne se situerait- elle pas plutôt au niveau de la justice pénale qu’au niveau des conditions d’hébergement de requérant·es d’asile ? La décision du SEM est discutable, bien qu’elle s’appuie sur la loi, et on peine à voir comment la structure va justifier son existence sur le long terme. L’administration le sent, et évoque déjà la possibilité de faire des Verrières, à terme, une forme d’extension du centre de Boudry. C’est avec un peu d’appréhension que nous attendons de voir pour qui et pour quoi…
Rappelons aussi que lors de sa première ouverture, le centre des Verrières avait sur- tout dissuadé les personnes qui y étaient assignées d’y rester, et nombre d’entre elles avaient disparu dans la clandestinité. Le centre est situé à quelques kilomètres seulement de la frontière française… à dessein? Selon un article paru dans la NZZ, 5 des 12 premières personnes assignées ont immédiatement disparu. Nous pouvons faire cette hypothèse: le centre des Verrières servirait surtout à ce qu’on n’y réside pas. Voilà un étrange concept !
Loin des errements du SEM autour de la notion glissante de « récalcitrant », la Commission nationale de prévention de la torture suggère dans un récent rapport [5] des pistes plus sérieuses pour lutter contre les phénomènes de violence dans les centres: mettre en place un plan de prévention, repérer les personnes vulnérables, améliorer l’accès aux soins. Combien de la violence, évoquée par le SEM pour justifier l’ouverture des Verrières, provient-elle de problèmes psychiques, de situation de désespoir renforcé par des conditions d’hébergement austères ? Les millions pour faire fonctionner les Verrières seraient sûrement mieux investis dans l’encadrement que dans la pseudo-sécurité.
ALDO BRINA
[1] OSAR, « Centre des Verrières : les requérants d’asile doivent bénéficier d’une représentation juridique », Eliane Engeler, 2 février 2021
[2] ats, « Les requérants récalcitrants aux Verrières », in 24 h, 29.11.18. Selon un échange d’email avec le SEM du 26 mars 2020, « on peut présumer que les coûts de fonctionnement seront du même ordre de grandeur ».
[3] Le Courrier, « Violences à Chevrilles », Julie Jeannet, 18 juin 2020, OSAR, « Gewalt im Bundesasylzentrum Basel », 15 mai 2020 et SRF, « Asylsuchende sollen besser vor Gewalt geschützt werden », 18 janvier 2021
[4] Le Courrier, « Hypothermie au centre d’asile », Julie Jeannet, 17 février 2021
[5] Vivre ensemble, « Rapport d’observation des Centres fédéraux d’asile : la violence pointée du doigt », Giada de Coulon, asile.ch, 20.01.21