HRW | La Grèce utilise des migrant·es pour mener des pushbacks
« Leurs visages étaient camouflés ». Un rapport de l’organisation Human Rights Watch (HRW) basé sur des interviews de de réfugié·es afghan·es dénonce des cas de refoulements illégaux diligentés par les garde-frontières grecs, où des auxiliaires « non-grecs » seraient à la manoeuvre depuis 2021 dans la région frontalière de l’Evros. HRW appelle les autorités grecques à cesser ces pratiques et à mener des investigations systématique ainsi qu’à poursuivre pénalement les personnes et agents impliqués.
L’ONG exhorte par ailleurs les autorités européennes à faire pression sur la Grèce pour qu’un mécanisme indépendant de surveillance des frontières soit mis en place et de « veiller à ce qu’aucun de ses financements ne contribue à des violations des droits fondamentaux et des lois de l’Union européenne (UE). Elle demande également à ce que Frontex rende des comptes sur le respect des droits fondamentaux et du droits des réfugié·es par ses propres agents et par ceux des agents nationaux impliqués.
La Commission européenne, qui apporte un soutien financier au gouvernement grec pour le contrôle des migrations, notamment dans la région d’Evros et dans la mer Égée, devrait exhorter la Grèce à mettre immédiatement fin à tous les renvois sommaires de migrants et de demandeurs d’asile vers la Turquie, faire pression sur les autorités pour qu’elles mettent en place un mécanisme indépendant de surveillance des frontières qui enquêterait sur les allégations de violence aux frontières, et veiller à ce qu’aucun de ses financements ne contribue à des violations des droits fondamentaux et des lois de l’Union européenne (UE), notamment en retenant ces financements jusqu’à ce que les abus cessent. La Commission européenne devrait également ouvrir une procédure judiciaire contre la Grèce pour violation des lois européennes interdisant les expulsions collectives.
“Their Faces Were Covered”. Greece’s Use of Migrants as Police Auxiliaries in Pushbacks.
Photo by Aaron Burden on Unsplash
Nous publions ci-dessous une traduction en français du résumé de Human Rigths Watch, publié le 7 avril sur leur site sous le titre “Their Faces Were Covered”. Greece’s Use of Migrants as Police Auxiliaries in Pushbacks.
Le rapport ainsi que la réponse du gouvernement grec peuvent être téléchargés sur le site en anglais et en grec.
Utiliser les migrants pour faire le sale boulot de la Grèce
Les autorités grecques, y compris par l’intermédiaire des mandataires qu’elles utilisent, agressent, volent et dépouillent les demandeurs d’asile et les migrants afghans, y compris les enfants, avant de les repousser sommairement vers la Turquie via le fleuve Evros. Ils emploient des hommes qui semblent être originaires du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud pour faire monter de force des migrants dénudés ou à peine vêtus sur de petites embarcations, les emmener au milieu du fleuve Evros, qui marque la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, et les forcer à entrer dans l’eau glaciale, les obligeant à patauger jusqu’à la rive du fleuve du côté turc. Ces hommes portent souvent des masques cagoulés pour dissimuler leur visage et des vêtements noirs ou de type commando.
Ce rapport est basé sur des entretiens avec 26 Afghans, dont 23 ont été repoussés entre septembre 2021 et février 2022 à la frontière terrestre de la Grèce avec la Turquie. Les 23 hommes, deux femmes et un garçon ont décrit leur passage de la Turquie à la Grèce, leur détention par les autorités grecques ou des hommes qu’ils croyaient être des autorités grecques, leur temps de détention – généralement pas plus de 24 heures – avec peu ou pas d’accès à la nourriture ou à l’eau potable, et leur refoulement vers la Turquie par la rivière Evros.
Les hommes et le garçon interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que les autorités grecques les avaient battus à différents moments : lorsqu’ils étaient détenus, pendant leur garde à vue ou lorsqu’ils étaient poussés de force dans le fleuve Evros. Vingt-deux des 26 personnes interrogées ont déclaré qu’à un moment donné, les autorités grecques les ont forcées à se déshabiller jusqu’au caleçon ou à se mettre totalement nues. Toutes ont déclaré que les autorités grecques leur avaient volé de l’argent, des téléphones portables ou d’autres effets personnels.
Les autorités grecques ont placé en détention 20 des personnes interrogées par Human Rights Watch. Aucune d’entre elles n’a été correctement enregistrée – aucune n’a fait l’objet d’une prise d’empreintes digitales ou d’une photographie, ni d’un entretien formel quelconque – et à aucun moment, entre le moment de la détention et celui de l’expulsion, elles n’ont eu la possibilité de déposer une demande d’asile.
À la frontière terrestre avec la Turquie, 16 personnes ont indiqué que les bateaux qui les ramenaient en Turquie étaient pilotés par des hommes non grecs qui parlaient l’arabe ou des langues sud-asiatiques courantes chez les migrants. Elles ont toutes indiqué que la police grecque se trouvait à proximité lorsque les hommes chargeaient les migrants sur les petits bateaux. Ces hommes non grecs portaient souvent des uniformes noirs ou de type commando, ainsi que des cagoules pour masquer leur identité. Toutes les personnes interrogées, à l’exception de cinq d’entre elles, ont déclaré que les hommes qui transportaient les bateaux les obligeaient à débarquer au milieu du fleuve Evros, d’où ils devaient ensuite patauger jusqu’à la rive du côté turc, parfois dans de l’eau à hauteur de poitrine ou de menton, sous des températures glaciales.
Plusieurs des personnes interrogées ont déclaré que pendant qu’elles étaient sous la garde des forces de l’ordre grecques, elles ont vu d’autres policiers portant des uniformes avec un écusson du drapeau allemand ou autrichien, mais que ces policiers n’ont pas interagi avec elles ou n’ont pas fait d’efforts pour intervenir dans la situation. Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a sa plus grande opération en Grèce avec plus de 650 agents invités.
Les conclusions de ce rapport s’ajoutent aux preuves croissantes d’abus recueillies par les groupes non gouvernementaux (ONG) et les médias, concernant des centaines de personnes de diverses nationalités, dont des Syriens, interceptées et repoussées de l’Evros par les forces de l’ordre grecques depuis mars 2020 – au moment d’une impasse entre la Grèce et la Turquie à la frontière terrestre. Les ONG et les médias font également état d’allégations persistantes selon lesquelles le personnel des garde-côtes grecs abandonne illégalement des migrants – y compris ceux qui ont atteint les îles grecques – en mer, sur des bateaux gonflables sans moteur ; remorque des bateaux de migrants vers les eaux turques ; ou intercepte, attaque et met hors d’usage des bateaux transportant des migrants. Human Rights Watch a publié un rapport contenant ces conclusions en juillet 2020 [1].
En réponse aux conclusions de ce rapport, le Major Général Dimitrios Mallios, chef de la branche des étrangers et de la protection des frontières au quartier général de la police hellénique a écrit une lettre détaillée, jointe à la fin de ce rapport, réfutant les conclusions et les allégations de mauvaise conduite, et affirmant que » les agences de police et leur personnel continueront à opérer de manière continue, Les services de police et leur personnel continueront d’agir de manière continue, professionnelle, légale et rapide, en prenant toutes les mesures nécessaires pour gérer efficacement les réfugiés et les flux migratoires, de manière à garantir, d’une part, les droits des étrangers et, d’autre part, la protection des citoyens, en particulier dans les régions frontalières de première ligne. «
Le gouvernement grec doit immédiatement mettre fin à tous les refoulements à partir de son territoire, garantir un traitement équitable aux personnes cherchant la sécurité en Grèce et permettre l’accès aux procédures d’asile à tous ceux qui le demandent. Les autorités judiciaires grecques, en particulier le procureur de la Cour suprême, doivent mener une enquête transparente, approfondie et impartiale sur les allégations selon lesquelles des membres des forces de l’ordre grecques sont impliqués dans des actes mettant en danger la vie et la sécurité des migrants et des demandeurs d’asile. Tout agent impliqué dans des actes illégaux, ainsi que leurs commandants, devraient faire l’objet de sanctions disciplinaires et, le cas échéant, de poursuites pénales.
Les législateurs grecs devraient de toute urgence ouvrir une enquête sur toutes les allégations d’expulsions collectives et de violences aux frontières, et déterminer si des responsables gouvernementaux ont donné des ordres conduisant à des actes qui non seulement violent la loi mais mettent en danger la vie et la sécurité des personnes déplacées.
La Commission européenne, qui apporte un soutien financier au gouvernement grec pour le contrôle des migrations, notamment dans la région d’Evros et dans la mer Égée, devrait exhorter la Grèce à mettre immédiatement fin à tous les renvois sommaires de migrants et de demandeurs d’asile vers la Turquie, faire pression sur les autorités pour qu’elles mettent en place un mécanisme indépendant de surveillance des frontières qui enquêterait sur les allégations de violence aux frontières, et veiller à ce qu’aucun de ses financements ne contribue à des violations des droits fondamentaux et des lois de l’Union européenne (UE), notamment en retenant ces financements jusqu’à ce que les abus cessent. La Commission européenne devrait également ouvrir une procédure judiciaire contre la Grèce pour violation des lois européennes interdisant les expulsions collectives.
Frontex devrait monitorer et faire publiquement rapport quant au respect par les forces de sécurité grecques des droits fondamentaux et du droit des réfugiés, ainsi que le respect de ces droits par ses propres agents et ceux fournis par les États membres. Frontex devrait également informer le conseil d’administration et les autorités grecques de son intention de déclencher l’article 46 de son règlement, en vertu duquel l’agence a le devoir de suspendre ou de mettre fin à ses opérations en cas d’abus graves, si aucune amélioration concrète n’est apportée par la Grèce pour mettre fin à ces abus dans les trois mois. Elle n’a déclenché l’article 46 qu’une seule fois, en Hongrie au début de 2021, après une décision de la Cour européenne. Le Parlement européen devrait continuer à contrôler Frontex sur ses manquements en matière de surveillance et d’intervention pour empêcher les expulsions collectives et autres abus dans la zone de son opération à la frontière entre la Grèce et la Turquie.