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Notre regard

Angleterre | Contester le transfert des personnes réfugiées vers le Rwanda

Mardi 14 juin, un vol d’expulsion vers le Rwanda de personnes réfugiées, entrées sans autorisation de séjour en Angleterre devrait avoir lieu. Il fait suite à la mise en place d’une nouvelle loi entérinée en avril par le gouvernement britannique visant la délocalisation des requérant·es d’asile et l’externalisation des obligations en matière de réfugiés du Royaume-Uni. Ce projet est sévèrement critiqué. Human Rights Watch (HRW) dénonce des manquements dans l’évaluation des violations des droits humains en cours dans ce pays. Selon l’organisation, le gouvernement britannique n’a pas honnêtement rapporté des risques encourus en cas de transferts de personnes réfugiées. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) affirme que cet accord est contraire à la Convention de Genève. Il constitue une nouvelle brèche dans l’accès au droit d’asile et la défense des droits humains. On le sait, en 2021 le Danemark signait un accord similaire avec le Rwanda. Cette pratique pourrait-elle devenir un modèle pour d’autres pays européens ? Selon Amnesty International, cela représenterait un report de la responsabilité de l’UE en matière de protection des personnes réfugiées comme jamais auparavant. Le dénoncer représente une action essentielle pour préserver le droit d’asile.

Pour aider à contester cette politique et arrêter le vol le 14 juin:
– Appeler les compagnies d’avion
– Soutenir le contentieux

En quoi consiste l’accord ?


Le 14 avril, Londres et Kigali ont signé un accord de 144 millions d’euros pour que le Rwanda accueille sur son sol des personnes migrantes de diverses nationalités arrivant du Royaume-Uni. Elles verront leurs dossiers traités dans le pays: si la demande est acceptée, elles devront s’y installer sans pouvoir revenir en Angleterre. En cas de rejet, le retour au pays s’effectuera depuis le Rwanda. Officiellement, cela ne devrait concerner que des hommes. « Le projet de délocalisation des demandeurs d’asile et d’externalisation des obligations en matière de réfugiés du Royaume-Uni, l’un des pays les plus riches du monde, vers le Rwanda – l’un des plus pauvres – est controversé depuis son annonce par le gouvernement le 14 avril. » reporte le quotidien The Guardian.

Qu’est ce qui est critique ?

  • L’Angleterre a publié début mai une évaluation de la sécurité au Rwanda visant à légitimer le renvoi des personnes venues y chercher refuge. Selon l’organisation Human Rights Watch, ce document « sélectionne ou ignore les faits pour étayer » la pratique de la nouvelle politique migratoire du gouvernement. HRW dénombre, notamment en 2018, de nombreuses arrestations suivies de détention de personnes réfugiées au Rwanda. Elle a également documenté les nombreux traitements discriminants en raison de l’orientation sexuelle des personnes. Le rapport du gouvernement anglais les juge, lui, « pas si grave qu’il n’y paraît ». L’organisation s’inquiète dès lors du traitement qui sera réservé aux personnes renvoyées : « en choisissant d’ignorer ses obligations internationales à l’égard des demandeurs d’asile et de les expulser vers un pays où les droits humains sont bafoués, il continue à approuver tacitement une politique empreinte de cruauté. »
  • Une des critiques les plus fondamentales sur cet accord a été émise par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés : « Le Royaume-Uni a l’obligation de garantir l’accès aux procédures l’asile pour les personnes ayant fui en quête de protection. Ceux qui sont considérés comme des réfugiés peuvent être intégrés, tandis que ceux qui ne le sont pas et n’ont aucune autre base légale pour rester, peuvent être renvoyés en toute sécurité et dignité dans leur pays d’origine. Le HCR demeure fermement opposé aux initiatives d’externalisation qui impliquent le transfert forcé des réfugiés et des demandeurs d’asile vers des pays tiers en l’absence de garanties et de normes suffisantes. De tels dispositifs ne font que déplacer les responsabilités en matière d’asile, constituent un manquement aux obligations internationales et sont incompatibles avec la lettre et l’esprit de la Convention relative au statut des réfugiés », a déclaré Gillian Triggs, Haut Commissaire assistante du HCR en charge de la protection internationale (avril 2022).
  • On le sait, le Danemark a également signé en 2021 un accord similaire avec le Rwanda. Nils Muiznieks, directeur pour l’Europe à Amnesty International, parle lui de pratique illégale : « Toute tentative visant à transférer des demandeurs et demandeuses d’asile vers le Rwanda pour l’examen de leur demande d’asile serait non seulement déraisonnable, mais aussi potentiellement illégale. Le Danemark ne peut pas priver les personnes arrivant sur son territoire du droit de solliciter l’asile et les transférer dans un pays tiers sans les garanties requises.

Les tentatives de stopper le premier vol

Plusieurs demandeurs d’asile, ainsi que deux associations et un syndicat, avaient demandé à la Haute Cour d’annuler tout vol au Rwanda en attendant l’audience sur le fond, qui décidera de la légalité de cette nouvelle politique. Mais la décision de la Haute Court britannique est tombée le 10 juin 2022. Elle a refusé d’annuler un vol programmé pour 31 personnes. Son représentant M Swift, cité dans le journal The Guardian affirme qu’il y avait: un « intérêt public important » à permettre au secrétaire d’État d’être en mesure de mettre en œuvre les décisions de contrôle de l’immigration. Il a également déclaré que certains des risques liés à l’envoi de demandeurs d’asile au Rwanda décrits par les requérants étaient très faibles et  » du domaine de la spéculation « . Le gouvernement a affirmé que le plan est conçu pour dissuader les personnes migrantes d’effectuer les dangereuses traversées de la Manche et pour briser le modèle économique des passeurs de migrants. Le quotidien Le Temps rapporte le 13 juin que le Prince Charles -sorti de son habituelle neutralité- a qualifié de « consternant » ce projet du gouvernement britannique. Le média Infomigrants informait de la présence de mineurs parmi les personnes menacées de transfert vers le Rwanda et de multiples tentatives de suicide .
Le 13 juin, le journal The Guardian confirmait que des questions demeurent quant au statut de ceux qui ont été menacés d’expulsion. Le Conseil des réfugiés a déclaré qu’un grand nombre des personnes qui devaient initialement prendre le vol de mardi étaient des enfants. Selon des sources du gouvernement, citées dans l’article, le vol pourrait dès lors être suspendu pour des raisons individuelles davantage que pour la mobilisation collective.

Références

First Rwanda deportation flight could be cancelled amid legal battles, Diane Taylor and Rajeev Syal, The Guardian, 13.06.2022

Ultimes recours pour bloquer l’expulsion de migrants vers le Rwanda, Le Matin, 13.06.2022

UK deportation flight to Rwanda can go ahead, high court judge rules, Diane Taylor and Rajeev Syal, The Guardian, 10.06.2022

Royaume-Uni : des mineurs parmi les migrants menacés d’expulsion vers le Rwanda, InfoMigrants, 06.06.2022

L’évaluation par le Royaume-Uni de la situation des droits au Rwanda n’est pas factuelle, Lewis Mudge, Human Rights Watch, 12.05.2022

Rwanda: country policy and information notes, Gov.UK, 09.05.2022

Royaume-Uni : la réforme controversée du droit d’asile inscrite dans la loi, InfoMigrants, 29.04.2022

Le HCR s’oppose au projet britannique visant à transférer des demandeurs d’asile au Rwanda, Haut Commissariat pour les réfugiés, 19.04.2022

Danemark. Le projet de renvoyer des demandeurs et demandeuses d’asile au Rwanda est «déraisonnable et potentiellement illégal», Amnesty international, 05.05.2021