Pierre Corbaz, médecin | À propos du sauvetage en mer. Réponse à une chroniqueuse du Temps
Le docteur Pierre Corbaz répond à la chroniqueuse Marie-Hélène Miauton, qui livre régulièrement son opinion sur la migration dans le quotidien Le Temps. Le 4 décembre 2022, elle « analysait » les actions de sauvetage en Méditerranée, en lien avec la recherche d’un port d’accueil sûr par l’Ocean Viking au coeur de l’actualité . Nous publions ci-dessous la réponse du médecin Pierre Corbaz, généraliste, éthicien, docteur en philosophie. Membre du MASM (Médecins Action Santé Migrants), il a notamment publié en mars 2022 Samos, un tombeau pour l’éthique aux Éditions En bas et revient d’une mission en Bosnie.
Le Temps. Réponse à l’article de Mme Miauton du 4.12.2022.
Vous ne m’en voudrez pas, Madame Miauton de répondre tardivement à votre article du 4.12.2022. Je reviens de Bosnie où je faisais « partie du problème », comme vous l’écrivez si joliment, en apportant quelques soins de médecin généraliste à des migrants sur la route des Balkans.
Je comprends votre argumentaire, il illustre un mode de pensée relativement courant en Europe, vous le soulignez adroitement. Je crois vous comprendre mais vous désapprouve. Les mots sont porteurs de sens et « prendre en charge les migrants en détresse » signifie, quand ils sont sur la mer, leur éviter la noyade. Lorsqu’il est question de tels sujets, ni vous ni moi ne pouvons prétendre à l’innocence : ne pas agir, c’est accomplir et assumer, une non-action. Encourager l’inaction des équipages c’est les prier de laisser mourir des enfants, des femmes, des hommes.
Et, oui, les marins sauveteurs de ces navires sillonnent la mer en des lieux où ils pensent probable de trouver des naufragés. Avouons qu’ils seraient stupides d’agir différemment, vous leur reconnaissez avec raison cette intelligence ; la mer est leur hôpital, le lieu de travail de leurs soignants et cet appel d’air que vous dénoncez se nomme, dans notre métier, réanimation.
Oui, les prestations médicales peuvent faire partie des propositions des passeurs, je l’ai pensé à l’occasion, au bout de mon stéthoscope, à la lumière de ma lampe frontale, dans des taudis que vous peinez à imaginer. Je vous répondrai « et alors ! », j’ai parfois rencontré des offres plus perverses au cours de ma déjà longue existence.
Ils ont été nombreux, avant vous, celles et ceux qui proposaient de tuer (laisser mourir, si ce mot vous offusque) certaines catégories de la population parce jugées non conformes à l’idéal humain qu’ils prônaient. Je les désapprouve. Certes les migrants nous posent de difficiles problèmes, le nier serait stupide et improductif. Je veux croire que leur extermination (les laisser mourir si ce terme vous choque) ne serait que le reflet de notre incapacité de penser et de notre indignité.
Dr Pierre Corbaz, médecin généraliste FMH, membre du MASM (Médecins Action Santé Migrants).