Aller au contenu
Notre regard

Procédure sommaire et avance de frais : la Suisse épinglée par le Comité des Nations unies contre la torture (CAT)

Le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) a gagné un recours devant le CAT. L’arrêt B.T.M. c. Suisse[1]B.T.M. c. Suisse, CAT/C/75/D/972/2019, UN Committee Against Torture (CAT), 11 Novembre 2022 porte sur une question récurrente de la procédure d’asile : l’administration des preuves déposées par les requérant·es d’asile et l’accès à un recours effectif contre les décisions du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), en cas d’allégations plausibles de risque de torture.

ONU – Stefano Maffei

Un droit d’exception. Alors qu’en Suisse, la majorité des décisions juridiques peuvent être contestées auprès de deux instances de contrôle successives, tel n’est pas le cas dans le droit d’asile : un seul recours existe contre les décisions rendues par le SEM, auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) dont la décision clôt définitivement la procédure d’asile. Or, ce recours unique ne fait pas toujours l’objet d’un examen approfondi. Un juge, lui aussi unique, peut en effet, sur la base d’un examen sommaire, déclarer le recours comme « manifestement infondé » et exiger le paiement d’une avance de frais dissuasive. À défaut du paiement du montant exigé, le recours sera jugé irrecevable et classé sans suite. Une pratique problématique au sein d’un Tribunal où, comme l’ont montré plusieurs enquêtes, le juge, nommé sur proposition d’un parti politique, n’est pas toujours aussi impartial qu’on le dit. La récente décision du CAT opère au cœur de cette problématique.

Le plaignant, avocat engagé et défenseur des droits de l’homme au Zimbabwe, allègue un risque de torture en raison de ses activités, qu’il établit à l’aide de plusieurs documents déposés au dossier. Le SEM, se fondant sur la simple analyse de ses déclarations, qu’il juge peu vraisemblables, et sur une présomption générale de falsification à l’égard des documents émis dans son pays d’origine, rejette la demande. Il ne mène aucune mesure d’instruction pour vérifier ses déclarations et expertiser les documents déposés. La décision est confirmée en tout point par le TAF: dans une décision sommaire rendue à juge unique, celui-ci déclare le recours manifestement infondé.

Ayant obtenu des preuves additionnelles, le recourant s’adresse une nouvelle fois au SEM par le biais d’une demande de réexamen. Il appelle à ce que ces nouvelles preuves, de même que celles déjà déposées, soient dûment examinées par l’autorité. Cette nouvelle requête est rejetée, et le recours contre cette décision est une seconde fois balayé, à juge unique, qui exige une avance de frais exorbitante pour la poursuite de la procédure. Le recours sera finalement déclaré irrecevable, comme le précédent, car le requérant ne peut financièrement s’acquitter d’une telle avance. Aucun effet suspensif n’est accordé à cette procédure, le renvoi du recourant pouvant intervenir en tout temps, dès la première décision du TAF.

Le plaignant s’adresse alors au CAT, invoquant notamment une violation de l’articles 3 de la Convention des Nations unies contre la torture (CTT), qui prohibe le refoulement vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants. Il reproche aux autorités suisses de n’avoir jamais examiné sur le fond le risque de torture qu’il encourt en cas de renvoi. Un risque rendu plausible par les documents déposés à l’appui de sa demande d’asile et de réexamen.

Dans sa décision, le CAT rappelle les obligations qui incombent à l’Etat partie à la CTT face à des allégations plausibles de risque de torture, notamment celle de garantir un recours efficace contre une décision d’expulsion. Un tel recours doit permettre un examen effectif, indépendant et impartial des allégations. Or pour le comité, en ne procédant jamais à un examen sur le fond des recours, en excluant de facto tout expertise et enquête additionnelle s’agissant des preuves documentaires en raison du caractère sommaire de la procédure appliquée et en exigeant le paiement d’une avance de frais disproportionnée compte tenu des moyens financiers du recourant, la Suisse a bel et bien privé l’intéressé du droit à un recours effectif. De ce fait elle s’est rendue coupable d’une violation de l’art. 3 CTT. Le CAT invite dès lors les autorités compétentes à procéder à un nouvel examen de la demande.

Le comité avait déjà rappelé à l’ordre la Suisse sur cette même question dans une précédente décision, rendue à l’encontre d’un jeune Érythréen[2]M.G. c. Suisse, CAT Communication no 811/2017, sans engendrer un changement de pratique notable auprès du SEM et du TAF. Il faut espérer que cette seconde décision ne conduira pas uniquement à une nouvelle décision plus favorable au recourant, mais qu’elle obligera aussi le TAF à plus de prudence dans des cas similaires.

Marie-Claire Kunz


L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!

Notes
Notes
1 B.T.M. c. Suisse, CAT/C/75/D/972/2019, UN Committee Against Torture (CAT), 11 Novembre 2022
2 M.G. c. Suisse, CAT Communication no 811/2017