Éditorial | Changer le narratif sur la migration. Et pourquoi donc?
Il y a des idées qui ont la vie dure. Et des expressions qui les maintiennent bien vivaces. «Appel d’air», «vague migratoire», «crise des migrants», «réfugiés économiques», «abus», «afflux», «migrants illégaux». Héritées de l’extrême droite, leur normalisation insidieuse dans les discours politiques a contribué à les habiller d’un masque de vérité. Un masque, seulement.
Ces terminologies émaillent régulièrement les médias, charriant leurs représentations mensongères. Or le traitement médiatique n’est pas neutre. Plusieurs recherches ont montré son impact sur l’opinion publique. Ainsi de la croyance que les étranger·ères sont bien plus nombreux·euses qu’en réalité. Conséquence: face au sentiment d’être «submergées», les personnes sondées sont prêtes à adopter n’importe quelle loi liberticide – y compris la détention d’enfants. Les mêmes se montrent bien plus tolérantes une fois confrontées à la réalité des chiffres.
C’est forte de cette conviction que Vivre Ensemble a lancé en 2013 le Comptoir des médias. Sensibiliser les journalistes aux réalités de l’asile, à l’adéquation du choix des mots, des images, des implicites qu’ils contiennent vise à favoriser une information factuelle, diversifiée et dénuée de préjugés.
Les journalistes n’aiment pas qu’on leur dise quoi dire ou écrire, abhorrent le politiquement correct, craignent la censure ? Notre intention n’est pas là. Elle est de rappeler que leur rôle dans le débat public leur confère une responsabilité. Notre démarche consiste par exemple à les amener à corriger des erreurs factuelles. Parfois, une intervention directe – et souvent discrète – auprès des rédactions suffit. Lorsque le dégât d’image est trop étendu, que le même titre tapageur se retrouve dans toute la presse, alors nous communiquons auprès du public. C’est ce que nous avons fait pour dénoncer les « unes » anxiogènes liées aux statistiques de l’asile ou le manque de distance vis-à-vis de la manœuvre UDC laissant croire à l’expulsion de Suisses de leurs logements en faveur de réfugié·es. (p. 7 & 9)
La liberté d’informer doit s’exercer en refusant de se plier à l’agenda politique de partis pour qui la migration est le moyen d’exister. Et de rester critique face à la sempiternelle communication administrative sur les statistiques mensuelles de l’asile.
Nous avons la conviction que l’éthique journalistique requiert de traiter l’information, pas uniquement de la relayer. Et dans notre parcours, nous en avons rencontré des journalistes intéressé·es, désirant comprendre les enjeux du terrain ! Ce seront probablement elles et eux nos meilleur·es ambassadeur·euses pour sensibiliser la profession.
Car loin de nous l’idée de stigmatiser « les médias ». Au contraire ! Nous avons plus que jamais besoin d’une presse libre, de journalistes mu·es par la même conviction que nous: celle que l’information renforce les droits de toutes et de tous. Il s’agit de valoriser le travail de qualité, fouillé, documenté, qui montre les multiples facettes de la migration. De le favoriser, aussi, en renforçant les compétences et connaissances des acteurs et actrices de l’information. Notre action a en effet révélé combien les lacunes de compréhension législatives, terminologiques ou de réalités de terrain se reflètent dans le choix des iconographies, infographies, titres ou accroches. Les 10 ans du Comptoir seront l’occasion de donner une nouvelle emphase à ce volet de sensibilisation.
Giada de Coulon et Sophie Malka
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