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Documentation

TAF | Les renvois Dublin vers la Grèce restent illicites

Les renvois Dublin vers la Grèce sont illicites. La faute aux conditions d’accueil et au manque d’accès à une procédure d’asile équitable, ce qui signifie un risque de renvoi de personnes menacées vers les pays qu’ils ont fui.Un arrêt du Tribunal fédéral vient d’être publié à ce sujet. Nous le relayons ci-dessous.

Dans un arrêt de référence très important rendu à 5 juges (F-5298/2024 du 12 juin 2025) concernant une personne sous le coup d’un transfert vers la Grèce et représentée par Caritas Suisse, le Tribunal administratif fédéral confirme sa jurisprudence bien établie selon laquelle le système d’asile et d’accueil grec souffre de défaillances systémiques rendant la présomption de sécurité dans cet Etat inopérante. En conséquence et sauf circonstances exceptionnelles, les transferts, en application du Règlement Dublin, vers la Grèce doivent continuer à être considérés, jusqu’à preuve du contraire, comme illicites.

Pour Guillaume Bégert, juriste à Caritas Suisse, « cet arrêt de référence vient par ailleurs confirmer la stratégie développée par Caritas Suisse qui s’est opposée à cette nouvelle pratique en déposant systématiquement recours contre les décisions de non entrée en matière Dublin vers la Grèce, en soulignant l’absence de toute amélioration quant aux conditions d’accueil et d’accès à une procédure d’asile équitable dans ce pays. »

Communiqué de presse concernant l’arrêt F-5298/2024

Devoir d’instruction préalable à un transfert Dublin vers la Grèce

Le Secrétariat d’État aux migrations est tenu d’instruire la situation des requérants d’asile en Grèce et de prendre position sur l’existence ou non de défaillances systémiques sur place, avant d’ordonner un transfert vers ce pays. Ainsi en a décidé le Tribunal administratif fédéral.

En août 2024, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) n’est pas entré en matière sur la demande d’asile d’un ressortissant turc et, se basant sur le règlement Dublin III, a ordonné le transfert de l’intéressé vers la Grèce. Il s’est fondé, à cet égard, sur l’assurance donnée par les autorités grecques de garantir à l’intéressé un accès à la procédure d’asile et à un logement adéquat, en application de la recommandation 2016/2256 de la Commission européenne du 8 décembre 2016. Le requérant a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).

Rappel de la jurisprudence actuelle concernant les transferts vers la Grèce

Dans son arrêt de référence[1]Cet arrêt analyse les conditions prévalant dans un pays déterminé et fait une appréciation juridique qui dépasse le cas d’espèce et vaut de manière générale pour une pluralité de … Lire la suite, le TAF constate que la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour EDH M.S.S. contre Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 et celle qu’il a lui-même établie par les arrêts ATAF 2011/35 et ATAF 2011/36 n’ont pas été infirmées et restent, à ce jour, d’actualité. Il ressort de ces jurisprudences que des défaillances systémiques ont été reconnues dans le régime d’asile grec. Selon ces arrêts, la présomption, selon laquelle tous les Etats membres de l’Espace Dublin sont des pays sûrs et respectent le principe de non-refoulement, est ainsi devenue inopérante dans le cas de la Grèce ; la licéité d’un transfert vers cet Etat peut toutefois être admise à titre exceptionnel, au terme d’une analyse individualisée.

Violation de la maxime inquisitoire

Dans le cas d’espèce, le SEM a violé son devoir d’instruction. Se référer uniquement à la garantie des autorités grecques et à la recommandation 2016/2256 de la Commission européenne, sans se déterminer de manière explicite sur l’existence ou non de défaillances systémiques en Grèce à l’heure actuelle, n’est pas suffisant pour ordonner le transfert du recourant vers ce pays. Cela l’est d’autant moins que ladite recommandation date de 2016 et que la pratique du SEM consistait, ces dernières années, à ne prononcer (presque) aucun transfert vers la Grèce. Bien plus, le SEM doit établir les faits déterminants et actuels en relation avec la situation des requérants d’asile en Grèce, avant d’indiquer explicitement s’il y a toujours des défaillances systémiques sur place et d’expliquer si le transfert du recourant vers cet Etat peut intervenir.

Le TAF admet ainsi le recours, annule la décision du SEM et lui renvoie la cause pour complément d’instruction et nouvelle décision. Cet arrêt est définitif et non susceptible de recours devant le Tribunal fédéral. 

Commentaire

L’arrêt du Tribunal vient confirmer la nécessité d’une aide juridique à la fois pour protéger les personnes mais aussi le respect du droit d’asile par la Suisse. A noter que cet arrêt ne protège pas d’un renvoi les personnes ayant obtenu une protection en Grèce, malgré le fait qu’elles y sont laissées à la rue, dans l’insécurité, sans aucun moyen de subsistance. Elles y subissent des violences, mais la Suisse persiste à les y renvoyer. En dépit de rapports et recommandations des ONG internationales du terrain. À Genève, Ali Reza avait mis fin à ses jours lorsqu’il avait reçu une telle décision, malgré les avis médicaux. Il y avait vécu un enfer.

Sophie Malka

Notes
Notes
1 Cet arrêt analyse les conditions prévalant dans un pays déterminé et fait une appréciation juridique qui dépasse le cas d’espèce et vaut de manière générale pour une pluralité de procédures.