Editorial | Tradition humanitaire
«Nous sommes déterminés à préserver la tradition humanitaire. Les personnes qui ont besoin de la protection de la Suisse l’obtiendront sans réserve, comme jusqu’ici».
C’était le 14 septembre 2006, la conclusion d’un exposé de Christoph Blocher donné à Schaffhouse. Le peuple pouvait donc accepter la révision de la loi sur l’asile et la nouvelle loi sur les étrangers en toute confiance.
Mais voilà, le 2 février, ces promesses d’octroi de l’asile «sans réserve» se sont transformées, dans la bouche de ce politicien retors, en une attaque en règle contre la Commission de recours en matière d’asile (CRA), notamment parce qu’elle avait décidé d’accorder l’asile aux déserteurs érythréens exposés à des traitements cruels dégradants et inhumains. C’était pourtant la suite logique d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait condamné les Pays-Bas, le 5 juillet 2005, parce qu’ils voulaient renvoyer un déserteur érythréen dans son pays. Que veut dire «les personnes qui ont besoin de la protection de la Suisse l’obtiendront sans réserve», si le Chef du département fédéral de justice et police (DFJP) proteste contre l’octroi de l’asile à des personnes menacées de torture ?
On savait Blocher expert ès mensonges et manipulations. Mais jamais il n’avait lancé une attaque aussi grave contre le droit d’asile, et le tout a malheureusement passé sans grands commentaires dans la presse. Il y avait pourtant de la matière. Car dans le même temps, Blocher s’en prenait à une décision positive de la CRA concernant le cas d’un ressortissant turc menacé de persécution, dont le dossier n’avait pas été apprécié correctement en Allemagne. Il critiquait aussi la pratique constante de la CRA, qui tient compte des motifs postérieurs à la fuite pour éviter un refoulement vers la torture. A chaque fois, Blocher voudrait que des personnes qui répondent à la définition légale du réfugié soient renvoyées à leurs persécuteurs. Enfin le chef du DFJP qualifiait de détournement de la loi sur l’asile, les admissions provisoires octroyées en raison d’un danger en cas de retour, trop nombreuses selon lui.
De toute évidence, Blocher n’est pas intéressé à protéger les personnes en danger.
Sur ces quatre points, tirés de la jurisprudence récente, Blocher s’attaquait au pouvoir judiciaire en tant que représentant du pouvoir exécutif, au mépris de la séparation des pouvoirs. Cet homme est dangereux, et pas seulement pour le droit d’asile. On le savait déjà; mais il faut le répéter sans cesse, tant les esprits ont tendance à se laisser endormir par les sirènes populistes. «Sans réserve».
Yves Brutsch