Législation | Sévérité pour les infractions selon la LSEE: Deux poids, deux mesures
Une importante révision du Code pénal suisse vient d’entrer en vigueur en ce début 2007. A cette occasion, des recommandations en matière de fixation des peines révèlent une sévérité particulière s’agissant des infractions à la loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE). En bref, un clandestin est considéré comme plus dangereux qu’un chauffard…
C’est une toute nouvelle philosophie qui règne désormais en matière pénale. L’idée est d’éviter autant que possible les courtes peines de prison, que l’on souhaite remplacer par le travail d’intérêt général ou par les «peines pécuniaires». En cas de condamnation, le juge pénal devra fixer le nombre de jours que mérite l’infraction sanctionnée, puis fixer la valeur de chaque jour en fonction de la situation personnelle et financière de l’accusé, mais au maximum 3’000 francs par jour. On arrive ainsi à un certain nombre de «jours-amende»: le condamné devra en principe s’acquitter de la somme fixée par le juge, ne devant subir une privation de liberté que s’il ne paie pas l’amende sans motif excusable. Si le Code pénal offre une marge d’appréciation importante au juge en matière de fixation de la valeur du jour-amende, c’est pour individualiser la peine au mieux.
Série de recommandations
Le bouleversement qu’implique l’entrée en vigueur du nouveau système a fait l’objet de nombreuses réflexions, notamment pour assurer une application la plus uniforme possible dans toute la Suisse. C’est ainsi que la «Conférence des autorités de poursuite pénale de Suisse» (CAPS) a émis une série de recommandations pour les domaines qui connaissent le plus grand nombre de condamnations (consultables sur le site www.ksbs-caps.ch/pages_f/index.htm). Comme on l’imagine, il s’agit du trafic de stupéfiant, ainsi que des infractions à la circulation routière, excès de vitesse et alcool au volant tout particulièrement, mais aussi, on a tendance à l’oublier, des infractions à la législation sur les étrangers.
Peines sévères
La lecture de ces recommandations montre la sévérité particulière avec laquelle on entend réprimer les infractions liées au séjour des étrangers. Ainsi, entrer sans visa en Suisse peut vous coûter entre 10 et 20 jours-amende; séjourner jusqu’à 12 mois sans autorisation entre 20 et 90 jours amende; la «non-sortie», dans tous les cas où un délai de départ fixé par l’autorité n’est pas respecté, de 20 à 40 jours-amende. Faciliter bénévolement l’entrée illégale de membres de sa famille peut valoir de 20 à 60 jours-amende. Enfin, en cas de non-respect d’une assignation à un lieu de résidence ou d’une interdiction de pénétrer une région déterminée, on recommande entre 25 et 60 jours-amende.
Pas de mise en danger
Un certain malaise nous saisit lorsque l’on compare avec les recommandations pour excès de vitesse ou alcool au volant. Pour risquer plus de 30 jours-amende comme un sans-papiers, il faudrait rouler à plus de 65 km/h en zone 30, à plus de 90 km/h en ville, à plus de 180 km/h sur autoroute, ou alors présenter un taux d’alcoolémie de plus de 2 pour mille. Ces comportements ne sont pourtant pas de simples infractions aux normes établies, comme le séjour illégal, mais ils mettent en danger la vie ou l’intégrité corporelle d’autrui. Est-il besoin de rappeler le nombre d’accidents dus à l’excès de vitesse ou à l’alcool, ainsi que les conséquences dramatiques qu’ils entraînent?
Comparaisons ineptes
En recommandant la même peine de 60 jours-amende, la CAPS semble indiquer qu’il est aussi grave de ne pas respecter une interdiction de territoire que de rouler avec un taux d’alcoolémie de 2 pour mille, ou même deux fois plus grave que de rouler à 90 km/h en ville! Sans même parler de l’arbitraire qui préside à ces interdictions administratives (voir Vivre Ensemble, n° 103, juin 2005, p. 18), il saute aux yeux que le fait de ne pas les respecter ne met en péril la vie de personne: le danger social est bien moindre, de sorte qu’il paraît aberrant que l’on puisse mettre ces comportements sur le même pied!
Montants disproportionnés
Le tour de vis est d’autant plus net que l’on recommande de fixer la valeur minimale du jour-amende à 30 francs. C’est peut-être correct si l’on considère la situation d’un Suisse même avec un bas revenu. Mais c’est franchement disproportionné pour des personnes soumises aux minima de la loi sur l’asile (dans les 400 francs par mois) ou à l’aide d’urgence. Pourtant, le non-respect du délai de départ ou d’une interdiction de territoire concerne tout particulièrement les victimes de non-entrée en matière (NEM), par ailleurs interdites de travailler et réduites à quémander l’aide d’urgence pour survivre.
Objectif détourné
On risque donc bien de se diriger vers un détournement de la philosophie qui a présidé à cette révision du Code pénal. En fixant la valeur du jour-amende trop haut, on va rendre impossible le paiement de l’amende, ce qui entraînera une augmentation des courtes peines privatives de liberté que l’on voulait justement éviter! Une personne frappée de NEM qui ne respecterait pas une interdiction de territoire pourrait se retrouver condamnée à une peine pécuniaire de 1800 francs, et, faute de pouvoir la payer, à subir une privation de liberté d’au moins 18 jours.
Une fois de plus, les réfugiés et les migrants vont être les premières cibles de la «chasse aux pauvres» qui régit de plus en plus les pratiques de nos autorités.
Christophe Tafelmacher