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Notre regard

Aide d’urgence | Pas de couverture médicale pour les déboutés: L’Etat de droit à la dérive

Depuis le premier avril 2004, les requérants d’asile frappés d’une décision de non-entrée en matière (NEM) ont été exclus de l’assurance maladie obligatoire, en même temps qu’ils étaient exclus de l’aide sociale. Ils n’ont, depuis lors, plus le droit qu’à des «soins médicaux d’urgence».Ces mesures «d’économie», proposées initialement par les cantons et l’Office fédéral des réfugiés [aujourd’hui Office fédéral des migrations (ODM)] dans un rapport du 9 mars 2000, sont maintenant appliquées à tous les requérants faisant l’objet d’une décision de renvoi exécutoire. Considérées comme «des personnes en situation de séjour illégal», ces déboutés n’ont en effet plus droit qu’à une aide d’urgence très limitée. Paradoxe: ces mêmes autorités qui leur reprochent de rester illégalement en Suisse sont elles-mêmes en pleine illégalité lorsqu’elles suppriment leur couverture médicale.

Se basant sur un avis de droit de l’Office fédéral de la justice, les auteurs du rapport du 9 mars 2000 avaient eux-mêmes reconnu qu’«une restriction des prestations médicales pour le groupe de personnes concerné implique… obligatoirement l’exclusion de ces personnes du système de l’assurance-maladie obligatoire. [Mais que] la loi sur l’assurance-maladie (LAMal) stipule l’égalité de traitement des personnes soumises à l’obligation d’assurance». Le rapport du 9 mars 2000 concluait ainsi à la nécessité de modifier l’article 3 LAMal, qui règle cette question.

Cette disposition n’a cependant pas été modifiée. Son texte est parfaitement clair: toute personne domiciliée en Suisse est soumise à l’obligation de s’assurer, le domicile étant défini comme le lieu de résidence effectif d’une personne au sens du Code civil. Une directive de l’Office fédéral des assurances sociales a rappelé en 2002 que cette disposition s’appliquait également aux personnes sans autorisation de séjour, comme les sans-papiers. Il n’existe ainsi aucune base légale justifiant une restriction des prestations médicales ou l’exclusion de l’assurance-maladie obligatoire des requérants déboutés. Pourtant la grande majorité des cantons exclut l’ensemble ou une bonne partie de ces «illégaux» de l’assurance-maladie obligatoire, et leur refusent les soins médicaux ordinaires. Certains à l’instar des cantons de Soleure et de Zurich ont même inscrit ces mesures dans leur législation.

Cas d’urgence uniquement

Selon le Conseil d’Etat soleurois, «les personnes en situation de séjour illégal n’ont par définition pas de domicile en Suisse». Pour le gouvernement zurichois «les assurer reviendrait à leur signaler indirectement que leur présence est tolérée et ne serait pas en conformité avec la volonté du législateur fédéral». D’autres comme Berne n’ont pas légiféré sur la question. Les Offices de prévoyance sociale se contentent d’informer les personnes concernées ou les médecins par des lettres stéréotypées. Les directions de la sécurité sociale des cantons de Soleure et de Berne ont annoncé par une circulaire à tous les médecins et hôpitaux que les personnes concernées perdaient leur assurance maladie de base et n’avaient droit à des soins médicaux qu’en cas d’urgence. Aucun des documents mentionnés ne fait référence à la LAMal et le malaise des cantons est palpable.

Responsabilité rejetée

L’auteur de la circulaire bernoise, interrogé par un juriste sur la légalité des mesures prises a répondu un peu embarrassé, que l’Office de prévoyance «ne faisait que relayer les directives du Service cantonal de migration». Le directeur de ce service, interrogé quelques jours plus tard par un journaliste invoque «une situation juridique peu claire, et une divergence de vue entre l’Office fédéral des migrations et l’Office fédéral de la santé: son service partage le point de vue de l’Office fédéral des migrations», dit-il. Interrogé sur la base légale fondant le point de vue de l’ODM, il n’a pu répondre. Et pour le porte-parole de l’ODM, «la responsabilité en incombe aux cantons.»

Violation de la loi

Selon l’ancien chancelier de la Confédération Fançois Couchepin, «les faits constatés constituent, une violation de la loi fédérale sur l’assurance maladie. Bien plus, ils constituent une violation du principe de l’Etat de droit, voulu par le peuple suisse lorsqu’il a adopté les articles de la Constitution qui précisent ce principe». L’article 36 al 1 stipule que «toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi.» et l’article 46 al 1 dit que «les cantons mettent en œuvre le droit fédéral conformément à la Constitution et à la loi.»

Mesure dissuasive

Il ne s’agit pas d’une simple erreur administrative. Les dispositions du droit fédéral étaient claires dès le début. Le projet d’exclure les requérants déboutés de l’assurance-maladie obligatoire et de restreindre leur droit à des soins médicaux, qui faisait partie de l’arsenal de mesures sociales restrictives censées les pousser à quitter la Suisse, n’aurait jamais dû voir le jour. Le fait que nos autorités cantonales et fédérales aient osé passer outre et qu’elles appliquent des dispositions illégales depuis quatre ans sans être inquiétées, est significatif du peu de considération dont jouissent les requérants et est de nature à ébranler sérieusement la crédibilité de notre Etat de droit.

Françoise Kopf