Procédure | Comment se défaire légalement d’une obligation internationale? Vallorbe et les NEM pays tiers sûrs
Depuis l’entrée en vigueur en janvier 2008 des nouvelles lois sur l’asile et, en particulier, de la possibilité de prononcer des décisions de non-entrée en matière (NEM) et de renvois vers des pays tiers considérés comme «sûrs», le Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (SAJE) de Vallorbe a observé une utilisation importante de ce nouvel outil d’expulsion dans le canton de Vaud. Cette pratique préfigure sans doute la manière dont la Suisse compte appliquer les accords de Dublin, en vigueur depuis le 12 décembre 2008, et qui procèdent du même esprit.
L’Office fédéral des migrations (ODM) peut refuser d’entrer en matière sur la requête d’un demandeur d’asile ayant transité par un pays répertorié comme «sûr» par les autorités helvétiques et si ce pays accepte de reprendre le requérant.
Des accords bilatéraux de réadmission ont ainsi été conclus avec la plupart des pays européens (mais pas uniquement). Le simple fait d’avoir enregistré le nom du requérant – lors d’un contrôle à la frontière, dans un train etc. – oblige l’Etat signataire de ces accords à réadmettre le migrant sur son territoire. Chaque cas fait toutefois l’objet d’une procédure de reprise individuelle .
Examen superficiel…
Le SAJE a interjeté une vingtaine de recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) contre de telles décisions dites «NEM pays tiers sûrs». Le TAF s’est systématiquement rangé sur l’analyse de l’ODM, et a rejeté ces recours.
Au delà des statistiques très décourageantes sur les chances de succès de ces recours, ce qui inquiète les défenseurs des réfugiés, ce sont les conséquences découlant de ces non-entrées en matière: traitement expéditif et superficiel des demandes d’asile et stigmatisation accrue des candidat-e-s à l’asile.
Le système des décisions NEM a en effet pour but de régler rapidement et sommairement les demandes considérées comme «infondées ou manifestement abusives». Les autorités affirment en particulier ne pas vouloir donner de faux espoirs aux personnes concernées. Par exemple, les personnes provenant d’un pays considéré comme exempt de persécutions ou déposant une deuxième demande d’asile pour des motifs ayant déjà fait l’objet d’un examen ne voient pas leurs motifs de fuite examinés. Leur demande et la question de leur renvoi dans le pays d’origine sont traitées au plus vite: les décisions de non-entrée en matière sont rendues dans des délais très courts, avec cinq jours de délai de recours.
… et stigmatisation
Ce qui est particulièrement choquant dans le cas des décisions NEM «pays tiers sûr», c’est qu’il soit considéré comme «manifestement abusif» d’avoir attendu d’être en Suisse pour déposer une demande d’asile. Dans la perte de repères et le vide abyssal que représente l’exil forcé, n’est-il pas compréhensible qu’une personne choisisse un pays dont elle connaît la langue, où un réseau social est susceptible de l’épauler à son arrivée?
Ce choix-là, légitime selon nous mais pas aux yeux des législations suisses et européennes, est sans rapport avec l’authenticité ou non de ses persécutions. Or, par la terminologie employée –«abusif»- et du fait que les NEM «pays tiers sûrs» sont comptabilisées dans les statistiques de l’asile comme des décisions négatives, les autorités contribuent à alimenter le discours sur les abus en matière d’asile et à stigmatiser les requérants d’asile.
De plus, la Suisse se décharge légalement sur les pays qui l’entourent d’une obligation internationale – celle de protéger les réfugiés – et profite de sa position géographique au centre de l’Europe. La trajectoire de Iwa(Prénom d’emprunt), ressortissant de Guinée illustre parfaitement les problèmes que pose ce concept de «pays tiers sûrs». Persécuté dans son pays d’origine, Iwa décide de se réfugier, non pas en Europe de manière générale, mais en Suisse.
Après un long voyage, il arrive en Espagne, en France, puis en territoire helvétique. Arrivé à la gare de Genève, les douaniers l’ «accueillent» à la descente du train et le gardent en observation pendant trois heures. Durant la nuit et de manière totalement illégale, car procédure formelle de reprise avec la France, une voiture de police conduit Iwa de l’autre côté de la frontière et le laisse au bord d’une route française. Au petit matin, frigorifié, Iwa trouve un autobus et réussit à repasser la frontière et à déposer cette fois une demande d’asile au Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe. Il reçoit alors une décision NEM «pays tiers sûrs». Il est renvoyé en France, car Iwa a traversé ce pays avant d’arriver en Suisse.
Les frontières de la Confédération helvétique sont donc plus que jamais protégées par des garde-fous législatifs imperméables aux personnes dans le besoin. Les accords de Schengen-Dublin vont encore renforcer cette pratique. Suisse humanitaire, où es-tu?
Elise Shubs et Chloé Bregnard Ecoffey
SAJE Vallorbe