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Notre regard

Réflexion | Refuser l’oppression en tant que femme: un acte politique

La politique d’asile «tend souvent à voir les femmes comme victimes et non comme des sujets luttant pour leur liberté». C’est ce que souligne un article publié en France en décembre 2007 et dont nous reprenons ici quelques extraits. Face à des pratiques comme l’excision, le mariage forcé, les viols impunis, et aux interdits de tous ordres, celles qui refusent ces violences, cette oppression, cette inexistence, n’ont souvent d’autre issue que de chercher protection à l’étranger. Mais leur démarche continue de se heurter à une approche très réductrice. (réd.)

«Nous savons, parce que nous rencontrons un certain nombre de ces femmes dans nos permanences, que peu d’entre elles sont reconnues comme devant être protégées. Leur récit est jugé non crédible, leur absence d’alternative mise en doute, ou alors on considère que les violences qu’elles ont subies ne relèvent pas de l’asile.[…]

Il n’en reste pas moins que certaines femmes obtiennent l’asile parce qu’on reconnaît qu’elles subissent ou risquent de subir des violences spécifiques et des atteintes à leurs droits fondamentaux en tant que femmes. Cette reconnaissance est récente. […]

Pendant longtemps, il leur était opposé le fait qu’il s’agissait d’« affaires privées » et donc ne relevant pas du domaine d’application de la Convention de Genève.

Depuis peu, les autorités françaises [et suisses, ndlr] ont pris conscience qu’il n’y avait pas lieu de parler de sphère privée lorsque l’État ne prenait pas les mesures nécessaires […], et que ces situations relevaient du droit d’asile. Si cette prise de conscience doit être saluée, la protection accordée reste largement en-deçà de ce qu’elle devrait être.[…]. L’étude des décisions de la Commission [française] de recours des réfugiés montre en effet que la protection subsidiaire [statut précaire comparable à l’admission provisoire en Suisse] est la forme [de protection] la plus généralement reconnue à des femmes victimes de violences conjugales ou de traite des êtres humains. […]

[Plus rare], l’octroi [de l’asile] se fait de manière tout à fait contestable à nos yeux. Les instances de détermination de ce statut considèrent en effet que les femmes […] sont persécutées au motif de leur «appartenance à un certain groupe social». (1)

Un raisonnement spécieux

C’est ainsi que ce statut a été successivement reconnu à des femmes au motif qu’elles appartiennent au groupe social des femmes «entendant se soustraire aux mutilations génitales féminines», «entendant soustraire leur fille aux mutilations génitales féminines», «qui entendent se soustraire à un mariage imposé», «entendant se soustraire à un crime d’honneur», «refusant de se soumettre à des rites de veuvage dégradants», ou encore «ayant donné naissance à un enfant albinos et craignant des persécutions de ce fait».

Or, hormis le [caractère artificiel de] ces «groupes sociaux» […], il serait plus approprié de reconnaître l’asile à ces femmes parce qu’elles sont persécutées au motif de leurs opinions politiques.

Contraintes de s’exiler parce qu’elles refusent de subir des lois, des coutumes ou des pratiques inégalitaires, violentes et contraires aux libertés les plus élémentaires, elles s’opposent à la manière dont est organisée et gouvernée la société, à un système de valeurs et de hiérarchie, c’est-à-dire au système politique entendu au sens large. Dès lors, on peut considérer qu’elles sont persécutées ou craignent de l’être en raison de leurs opinions politiques. À cet égard, peu importe qu’elles «revendiquent» ces opinions ou qu’elles «se contentent» d’agir en accord avec ces opinions […]. Elles sont en état de révolte par rapport à un système et c’est, notamment, cette révolte qui justifie qu’elles soient protégées. […]

Ainsi, le critère [retenu par les autorités] ne reflète pas le combat, l’action de ces femmes, même s’il s’agit d’un combat personnel et non d’une lutte collective et militante. Elles luttent à titre individuel pour acquérir leur propre liberté. Alors que l’appartenance à un groupe social renvoie plutôt à un état de fait, quelque chose dont une personne n’est pas responsable, qui souvent existe à la naissance. Les opinions politiques sont le reflet de la conscience d’une personne, elles sont le fruit de sa réflexion, de ses choix, de sa pensée et ce qui va guider ses actions et réactions.

Dans ces conditions, reconnaître le droit d’asile aux femmes persécutées en tant que femmes au motif de leur appartenance à un groupe social […] revient à les considérer comme des êtres passifs, des victimes à protéger et non comme des êtres actifs, des actrices à soutenir. Il y a là l’illustration d’une tendance générale vis-à-vis des femmes qui consiste à nier leur pouvoir d’action et à les cantonner à un rôle de victimes. […]

Cela s’inscrit dans le vaste mouvement actuel qui est de faire du droit d’asile non plus un droit visant à protéger des personnes luttant pour la liberté et la démocratie mais une action charitable pour des victimes de systèmes qui les écrasent.»

Lucie Brocard (Terre des Femmes), Haoua Lamine (Femmes de la Terre) et Morgane Gueguen (Cimade Ile-de-France)

Paru dans Plein droit, n°75, décembre 2007.


Note:

(1) Si le raisonnement juridique diffère en Suisse, la réflexion des auteures reste comparable.