Editorial | La société métissée et ses ennemis
«La culture démocratique européenne doit prendre conscience de la pathologie qui vient de l’Italie et se mobiliser pour empêcher qu’elle se répande en Europe. (…) Le gouvernement Berlusconi a imposé l’adoption de mesures discriminatoires à l’égard des immigrés telles qu’on n’en voyait plus en Europe depuis l’époque des lois raciales. Le sujet passif des discriminations a changé. Il ne s’agit plus des Juifs, mais des immigrés en situation irrégulière. Les dispositions prévues par les lois raciales, comme l’interdiction des mariages mixtes, elles, n’ont pas changé».
L’appel (1) adressé cet été à l’opinion publique européenne par de grands noms de la scène culturelle italienne a dû faire sourire les Parlementaires fédéraux.
Sous couvert de lutte contre les mariages fictifs, ces derniers ont entériné en juin l’interdiction faite aux personnes sans statut légal – sans-papiers ou recalé-e-s de l’asile – de se marier en Suisse. Et aux Suisses et titulaires de permis d’établissement, d’épouser un-e «illégal-e». L’exact pendant helvétique de l’interdiction à l’italienne.
Or si les intellectuels italiens fustigent une interdiction qui «empêche sur des critères de nationalité, l’exercice d’un droit fondamental, tel que celui de se marier sans contraintes de type ethnique ou religieux», en Suisse la mesure est passée comme une lettre à la poste.
Comme relevé en juin dans notre éditorial, la xénophobie affichée et pratiquée par l’Italie ne fait souvent l’objet que d’un débat aseptisé dans notre pays. Et de fait, la décision du Parlement suisse s’inscrit dans une longue tradition de politique de rejet de l’étranger. Le discours sur l’Überfremdung (surpopulation étrangère) fait largement recette depuis le début du XXe siècle. Au point d’être devenu partie intégrante de la législation suisse de l’asile et des étrangers.
Ainsi porté par l’autorité publique, ce concept a toujours conduit à des politiques discriminantes. Il a avivé le sentiment – somme toute humain – de peur de l’inconnu, de l’autre, pour le représenter comme une menace pour la Suisse et pour son homogénéité. Les partis identitaires l’ont vite compris, amplifiant à outrance la stigmatisation de l’étranger que ce discours induit.
Or c’est bien la xénophobie et le racisme qui constituent une menace pour notre «cohésion nationale» et notre démocratie, non l’autre, l’étranger.
Le 29 novembre, la population suisse votera sur l’initiative anti-minarets de l’UDC. Au-delà du prétexte que représente le minaret, le parti compte jouer sur la diabolisation du musulman telle qu’elle s’est développée après le 11 septembre 2001. L’initiative vise directement les musulmans vivant en Suisse, qu’ils soient Suisses ou étrangers, pratiquants ou non-pratiquants, issus de cultures et de traditions diverses. Elle combat l’idée même d’une Suisse multiculturelle.
C’est en donnant à connaître cette diversité que nous pouvons désarmer les peurs et la méfiance. Et espérer que, dans le secret de l’isoloir, la raison l’emporte sur l’émotion.
Sophie Malka
(1) Appel publié dans le Courrier International n°976, 16 juillet 2009