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Notre regard

Asile | Plier l’échine et attendre des jours meilleurs?

Chronique publiée par Anne-Catherine Menetrey dans Le Courrier du mercredi 31 octobre 2012 (lien vers l’article sur le site du Courrier)

Il paraît que les durcissements en cours dans le domaine de l’asile «n’indignent plus que quelques vieux archétypes de gauche, qui crient au loup depuis tellement longtemps que plus personne ne les écoute»1. J’en prends pour mon grade, merci! Mais c’est faux! Le référendum a été lancé par les Jeunes Verts, suivis par les Jeunes Socialistes, au nez et à la barbe des partis, qui, du moins pour les Verts (adultes et peu archétypiques), leur ont emboîté le pas. C’est vrai que ça fait des décennies qu’on rame à contre-courant, pour dénoncer les préjugés sur ces réfugiés dits «économiques», vils profiteurs-abuseurs, devant qui nos portes devraient impérieusement se fermer. A noter qu’à l’époque, l’UDC n’était que l’ancêtre d’elle-même, un parti agrarien conservateur somme toute fréquentable, pas encore dévoyé par les excités d’aujourd’hui. Ça faisait tout de même une sacrée différence: les requérants n’étaient ni à l’aide d’urgence, ni dans des abris au fond des vallées, ni dans la rue, ni dans des camps, ni même à Frambois.

Depuis lors, la centrifugeuse tourne à plein régime! Une fois enclenchés les mécanismes de l’opprobre et de l’exclusion, elle n’a plus cessé d’éjecter des NEM, des cas Dublin, des déboutés, des «récalcitrants», des «étrangers criminels». Après mille révisions successives de la loi sur l’asile, la gauche consternée assiste à la spirale inflationniste dans une sidération paralysante. Arrêter la machine par un référendum? On ne peut que perdre, prédisent ses leaders dans leur grande sagesse. Ils ont probablement raison. D’aussi loin que je me souvienne, nous n’avons jamais gagné un référendum contre les durcissements de la politique d’asile. Peut-on pour autant en conclure que ce sont ces défaites qui ont généré la surenchère à laquelle on assiste aujourd’hui? Certainement pas. Les adversaires du référendum craignent que le vote populaire n’ouvre un boulevard devant l’UDC. Mais son absence aurait le même effet! Sans lui, les blochériens n’auraient pas manqué d’ironiser sur cette soudaine lucidité qui a ramené la gauche à la raison et du même coup dégagé l’horizon. Il est vrai aussi que le saucissonnage du processus législatif nous contraindrait à des campagnes en cascade, épuisantes, coûteuses, démoralisantes pour les militants. Mais nous sommes depuis quarante ans dans l’urgence permanente… Quoi qu’il en soit, la prochaine initiative mijote déjà dans les cuisines udécistes, dégageant des effluves peu ragoûtants. A vrai dire, ce qui gonfle les voiles des xénophobes nationalistes, c’est moins une victoire prévisible contre la gauche que l’activisme suspect des partis bourgeois et de leurs zélateurs, bien décidés à leur disputer ce terrain.
A la tribune du parlement, les politiques prétendent agir au nom de la réalité vraie de l’asile, telle que perçue par le vrai-peuple-qui-en-a-marre, une réalité que, dans notre angélisme impénitent, nous ignorerions. Mais combien d’entre eux ont-ils jamais serré la main d’un requérant d’asile? Combien ont-ils écouté le récit d’un Africain débouté? Combien savent-ils le prix d’un passage sur un bateau clandestin? Combien parviennent-ils à se représenter les arnaques, les mauvais traitements, les viols durant l’exode à travers les déserts, ou ces 16’000 personnes qui, selon un décompte macabre, se sont noyées en traversant les mers? Plus habiles à jongler avec les chiffres de la délinquance qu’avec ceux des drames de l’exil, les élus de droite s’imaginent faire baisser l’indiscipline et la criminalité en condamnant les gens à l’oisiveté, à l’aide d’urgence, à l’errance, à l’enfermement. Et ce sont ces théories irréalistes, cette idéologie illusoire de la forteresse, qui devraient s’imposer comme des solutions pragmatiques?
Il fallait donc lancer le référendum, et, maintenant que c’est fait, il faut le soutenir. Je sais: les militants sont fatigués. Entre les gesticulations des politiques et l’exercice quotidien de la solidarité humaine, le fossé est devenu infranchissable. La vie coule ailleurs qu’au parlement, en souterrain, là où se révèle la vérité des hommes et des femmes qui ont fui leur pays et qui cherchent un accueil. La tentation est forte de porter l’action ailleurs et autrement. Pourtant, un mouvement de résistance fort persiste à survivre, qui se démène pour sauver ce qui peut l’être, qui s’élève contre l’arbitraire, et qui remporte encore des victoires, par exemple les 900 permis B obtenus pour des déboutés dans le canton de Vaud depuis 2007. Cet engagement, ce n’est pas l’échec d’un référendum qui le détruira, mais la résignation. Se priver d’une campagne, d’un débat, d’une tribune pour dénoncer la dérive des valeurs humanistes, c’est prendre le risque de perdre son âme.

* Ancienne conseillère nationale.

1 Ariane Dayer, Le Matin Dimanche, 3 juin 2012.

> Télécharger le référendum sur www.stopexclusion.ch