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Notre regard

La Suisse et Dublin III, entre progrès et incertitudes

La Suisse dispose d’un délai au 3 juillet 2015 pour mettre sa législation en conformité avec le nouveau Règlement de Dublin III (RD III). Le Conseil fédéral a néanmoins annoncé l’introduction anticipée dès le 1er janvier 2014 des principales modifications procédurales de celui-ci, afin d’appliquer les mêmes critères que les autres Etats membres et d’éviter une complexification inutile des procédures Dublin. Une application qui ne se fera cependant pas sans problèmes.

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Dorénavant, sous l’empire de Dublin III, le rapprochement des membres d’une même famille nucléaire au sein des Etats membres se fera non seulement si l’un des parents dispose du statut de réfugié, mais également lorsqu’il n’est bénéficiaire que de la protection subsidiaire (article 9), équivalant terminologique, mais non juridique, de l’admission provisoire en Suisse. Et c’est là un premier problème d’application, puisque l’ODM, qui aurait pu choisir d’appliquer Dublin III à tous les cas d’admission provisoire, a déjà annoncé que tel ne serait pas le cas.

Protection subsidiaire et admission provisoire: de faux amis

Selon la définition retenue dans la directive Qualification de l’Union européenne (voir VE 136), la protection subsidiaire concerne les personnes qui ne sont pas reconnues réfugiées, mais pour lesquelles il existe de sérieux motifs de croire soit (a) qu’elles seraient soumises à la peine de mort, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, ou (b) qu’elles seraient exposées à des menaces graves et individuelles en raison d’une violence aveugle en cas de conflit. Le premier cas de figure correspond en Suisse à ce qui est généralement admis lorsqu’une admission provisoire est prononcée pour illicéité du renvoi, des cas facilement identifiables parmi les décisions de l’ODM. Tout se complique avec le deuxième cas de figure, qui recoupe les situations de violence généralisée imposant l’admission provisoire pour inexigibilité du renvoi, selon le droit suisse. Une inexigibilité qui peut également être reconnue pour une mixité de motifs, susceptibles d’évoluer au fil du séjour en Suisse.

Un ressortissant syrien, dont on admet aujourd’hui qu’il ne peut rentrer dans son pays en raison de la violence aveugle qui frappe la population, pourrait très bien voir son admission provisoire maintenue quand bien même la situation sécuritaire s’améliorerait, car il présenterait par ailleurs une affection médicale sévère nécessitant un traitement disponible en Suisse et non dans son pays. Des motifs rarement explicités dans les décisions de l’ODM, dont la motivation se réduit le plus souvent à un lacunaire «au vu des circonstances particulières du cas».

Pour ce second type d’admission provisoire, l’autorité devra donc à l’avenir procéder à un nouvel examen des éléments pour lesquels une admission provisoire a été prononcée et, dans certains cas, préciser le motif qui a été le plus déterminant pour savoir si Dublin III s’applique ou non. En tel cas, difficile de savoir comment l’autorité se positionnera et le Tribunal administratif fédéral (TAF) devra probablement clarifier ces situations mixtes par voie jurisprudentielle.

Directive Qualification non contraignante, mais…

Pour les situations où l’administration considérera que l’admission provisoire équivaut à la protection subsidiaire dans sa définition européenne, se pose encore une seconde question: celle de la conformité de leur statut suisse avec les normes européennes. Titre de séjour renouvelable pour deux ans selon la directive Qualification, contre permis provisoire renouvelable d’année en année dans le droit suisse; liberté de circulation au sein des Etats membres, contre restriction à la liberté de mouvement pour les permis F, qui ne peuvent voyager sauf motif exceptionnel; ou encore droit immédiat au regroupement familial, contre regroupement familial après trois ans d’admission provisoire, telles sont les principales différences en jeu. Des différences de tailles pour les intéressés.

Si la directive Qualification n’est pas contraignante pour la Suisse, qui n’est associée qu’aux accords de Dublin et non aux autres directives du régime d’asile européen commun, il reste difficile de soutenir qu’à statut égal, les droits octroyés en Suisse seront inférieurs aux standards minimaux énoncés par l’Union européenne et en vigueur dans les autres Etats membres. Ce, d’autant plus que la Suisse s’est engagée à participer aux efforts d’harmonisation de la politique européenne à l’égard des réfugiés, inscrivant cet engagement à l’article 113 LAsi.

Dans l’application anticipée de Dublin III, cette question n’est tout simplement pas envisagée. Reste à savoir si d’autres modifications surviendront par la suite, dans le délai restant à la Suisse pour mettre sa législation nationale en conformité avec le droit européen, délai par lequel est également concernée l’entrée en vigueur des modifications relatives à la détention administrative et à la protection juridique.

Le flou qui plane sur ces deux importantes questions va générer une grande insécurité juridique, dont tout le monde, Etats compris, souffrira.

Marie-Claire Kunz