Restructuration | 9 questions aux Parlementaires
Le Centre social protestant, Solidarité sans frontières, Vivre Ensemble et les Juristes démocrates suisses invitent les Conseillères nationales et Conseillers nationaux à se poser 9 questions avant le débat sur l’asile du mercredi 9 septembre 2015, au cours duquel la restructuration de l’asile pilotée par Mme Sommaruga devait être discutée.
Restructuration de l’asile | 9 questions à se poser avant de voter la réforme Sommaruga
Depuis plus de trois décennies, les milieux de défense du droit d’asile demandent la mise en place d’une assistance juridique gratuite pour tous les demandeurs d’asile. Pourtant, à l’heure où le Parlement s’apprête à mettre en place une forme de protection juridique, trop de questions restent en suspens pour que nos organisations puissent la soutenir.
Une restructuration qui repose sur le système Dublin au moment où celui-ci prend l’eau de toute part est-elle réaliste ?
La restructuration de l’asile repose sur une répartition de 60% de procédures accélérées et 40% de procédures étendues. L’administration table sur 40% de cas Dublin pouvant constituer le gros des procédures accélérées. Cette réalité est aujourd’hui dépassée : il y a deux ans encore, 40% des demandes d’asile avaient été rejetées par une non-entrée en matière Dublin. Non seulement ce n’est plus le cas (21.6 % en 2014, une tendance qui se confirme), mais de plus le système Dublin n’a jamais été aussi remis en cause qu’aujourd’hui au niveau européen. Des Etats ont suspendu certains renvois Dublin tandis qu’une majorité d’Etats appellent à une répartition des demandeurs d’asile par quotas. En 2019 la restructuration doit entrer en vigueur. Si le système Dublin n’existe plus ou s’est radicalement transformé, quelle sera la proportion de cas accélérés et quels seront les cas accélérés en Suisse? Le socle de toute la restructuration est aujourd’hui fragilisé par les développements actuels.
Peut-on vraiment parler de protection juridique ?
Les procédures étendues, qui recoupent les cas les plus complexes, sont exclus de cette protection juridique. En procédure accélérée, les réductions des délais de recours mettent en danger l’accès à une procédure équitable. L’introduction d’une protection juridique est censée compenser ce danger. Toutefois, de nombreux spécialistes du droit, non impliqués dans le mandat de la protection juridique, sont critiques par rapport à différents aspects de la défense des demandeurs d’asile mise en place au centre de test. Par exemple, selon Me Maulini et Me Mizrahi, membres de l’Association des juristes progressistes, le respect du principe de l’absence de conflit entre les intérêts de la personne à défendre et ceux des personnes avec qui le défenseur est en relation sur le plan professionnel ou privé n’est pas garanti. Plus d’information sur le sujet
Que se passera-t-il si l’Etat n’octroie pas les moyens suffisants au prestataire de la protection juridique ?
En Hollande, pays qui a grandement inspiré notre restructuration, un représentant légal n’a pas plus de trois demandeurs d’asile à défendre à la fois. C’est la garantie d’une protection juridique indépendante et efficace. Qu’en est-il en Suisse ? Un rapport d’évaluation du centre-test de Zürich fait état d’une « cadence infernale » et de « pressions psychologiques ». Plusieurs représentants légaux ont affirmé qu’ils ne se verraient pas effectuer ce travail au-delà de quelques mois et plusieurs problèmes de santé ont été signalés. C’est simple : sans moyens suffisants, les représentants légaux auront trop de personnes à défendre en parallèle et devront bâcler des démarches, voire renoncer à recourir, dans des procédures où il est pourtant question de vie ou de mort. Si l’on ne peut garantir que des moyens suffisants seront donnés au prestataire de la protection juridique dans le futur, il est prématuré de célébrer la mise en place d’une telle protection, car elle peut encore être totalement annihilée par une limitation de l’enveloppe du prestataire (NB : il n’est pas prévu que les organisations signataires du présent document fassent partie du mandat et ce n’est donc pas par intérêt que nous faisons cette remarque).
L’adoption du projet par le Parlement n’est-elle pas précipitée?
L’objectif affiché de la phase de test était de permettre aux parlementaires de se faire une idée précise de la restructuration avant d’en débattre et de la voter. Or cette évaluation n’a pas eu lieu. Seuls des rapports intermédiaires ont été publiés début 2015. Un des rapports soulignait d’ailleurs : « en raison du nombre limité de cas traités […] on ne peut procéder à une évaluation fiable de la rentabilité économique de la restructuration ». Ainsi les parlementaires prendront-ils le risque d’adopter une restructuration avant même que le test ait été pleinement déployé ? Pourtant ce test a justifié l’emploi de l’urgence, fait plutôt rare en politique suisse car peu démocratique.
Qu’est-ce qu’un centre de départ ?
La restructuration s’appuie sur des « centres de départ », à partir desquels les renvois devraient être exécutés. Certains cantons, comme celui de Genève, se sont déjà engagés à ouvrir un tel centre sur leur territoire. Un engagement pour le moins audacieux, puisque personne à ce jour n’a pu nous expliquer ce qu’était un tel centre. Ni le Conseil d’Etat genevois (voir au Grand Conseil genevois : QUE 219), ni le SEM qui nous a simplement inviter à visiter un centre de départ, quand il en sera testé un à Zurich dans plusieurs mois, soit bien après l’adoption de la restructuration…
Adopter une restructuration qui a pour effet d’augmenter les passages à la clandestinité ?
Selon un des rapports d’évaluation de la phase de test, 23,5% des demandeurs d’asile disparaissent lorsqu’ils comprennent qu’ils recevront rapidement une décision négative. Ce chiffre atteint un taux de 49% dans le cadre des procédures dites « Dublin ». En moyenne, ces disparitions sont deux fois plus élevées comparées à celles observées dans la procédure ordinaire (12%). Est-il responsable d’adopter cette restructuration sans savoir ce que ces personnes sont devenues et si elles ne pèsent pas aujourd’hui sur les infrastructures communales destinées aux populations précaires ?
Les futurs centres fédéraux seront-ils semblables à celui de Zürich ?
Pour projeter ce que devrait être une procédure d’asile restructurée, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’appuie sur l’exemple d’un centre test établi en plein cœur de Zürich. Cette situation illustre-t-elle vraiment ce que sera un futur centre fédéral du même type ? Il devient en effet toujours plus difficile de trouver des emplacements pour ouvrir des centres de grande taille. Et concrètement les centres fédéraux post-restructuration pourraient ressembler davantage au centre récemment ouvert aux Rochats (VD) qu’à celui de Zürich. Le centre des Rochats est isolé : le village le plus proche se trouve à 6 kilomètres (voir un article à ce sujet). Au moment de faire l’exercice de se projeter dans une procédure d’asile souhaitée, il paraît donc impératif de gommer l’effet « vitrine » du centre-test actuel.
La migration est-elle un crime ?
La restructuration prévoit que les cantons créent entre 500 et 700 places de détention administrative supplémentaires, soit près du double des places existantes aujourd’hui. Or aucune étude sérieuse n’a été menée récemment en Suisse sur l’efficacité et les coûts de la détention administrative. Le dernier rapport de la Commission de gestion du Conseil national remonte à 2005. Celui-ci soulignait qu’« une comparaison des taux de renvoi dans le domaine de l’asile des cantons examinés a permis de constater qu’un usage fréquent de la détention ne va pas forcément de pair avec un pourcentage de renvois élevés ». Ce même rapport mettait en avant le caractère onéreux de la détention administrative. Par ailleurs, peut-on raisonnablement se proclamer humaniste et favoriser l’enfermement de personnes qui n’ont pas commis d’autres délits que de chercher une vie meilleure en Suisse ?
Quelles autres mesures permettent d’accélérer les procédures d’asile ?
Une augmentation des effectifs du SEM et du Tribunal administratif fédéral pour traiter rapidement et efficacement les demandes et recours qui leur sont adressés constitue le premier facteur d’accélération des procédures. Par ailleurs, la priorité politique du SEM, visant à traiter d’abord les cas ne devant pas aboutir à l’octroi d’une protection et à laisser de côté les autres, est un des facteurs importants de la lenteur des procédures. Le troisième facteur déterminant est la possibilité d’exécuter des renvois en fonction des partenariats migratoires développés avec les pays d’origine. Ces trois aspects ne sont pas abordés par la présente restructuration. Au contraire, des procédures trop rapides pourraient engendrer un surcroit de demandes de réexamen ou secondes demandes d’asile, mais là encore le recul n’est pas suffisant pour évaluer le résultat du test.
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