Éditorial | Force et vulnérabilité
« Les autorités suisses doivent reconnaître les violences commises envers les femmes durant leur parcours migratoire comme raison d’entrée en matière immédiate sur leur demande d’asile. »
Plusieurs organisations féministes et de défense des droits des migrant-e-s ont lancé un appel commun, l’appel d’elles, pour la suspension des renvois Dublin des femmes et des enfants vers les pays qui ne peuvent assurer leur prise en charge dans des conditions dignes (p.10). Et de citer l’Italie, première destination des renvois Dublin effectués par la Suisse. Les témoignages recueillis corroborent ce qu’écrivait déjà en 2013 Karine Povlakic, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE): « Nous avons pu constater dans nos permanences que la quasi-totalité des femmes seules qui viennent demander l’asile en Suisse ont été violées en Italie, en plus des viols subis dans leur pays d’origine ou pendant leur fuite.»[1]
Ce qui se produit dans une Italie saturée laisse entrevoir ce qui se déroule sur les différentes routes de l’exil pour les personnes vulnérables : harcèlement, viols, prostitution forcée, voire forts risques de traite d’êtres humains comme le relevait dans un rapport alarmant le GRETA, l’institution du Conseil de l’Europe de lutte contre la traite (p.12). Des violences auxquelles assistent impuissantes les organisations humanitaires à Calais , en Macédoine, en Libye, dans tous ces lieux sans cadre et sans protection étatique.[2]
Ces risques expliquent sans doute pourquoi, alors que les femmes représentent la moitié des personnes déplacées dans le monde selon le HCR, elles sont sous-représentées dans les demandes d’asile (30%). Et préfèrent souvent rejoindre, quand elles en ont la possibilité, un mari, un membre de la famille, parti seul sur les routes dangereuses de l’exil.
Mais elles n’ont souvent pas le choix. En plus des guerres, conflits ou persécutions, les femmes fuient parfois une oppression s’exerçant sur elles du seul fait qu’elles sont femmes: mariage forcé, mutilation génitale, crimes d’honneur, violences domestiques, etc.
Une oppression contre laquelle elles se sont opposées, publiquement ou par la fuite, sachant que ni l’Etat, ni leur communauté, ni leur famille ne les protégeraient (p. 6).
Si leur exil est souvent la seule issue possible, il est surtout un acte de courage. Se soustraire à ce que, en conscience, elles estiment comme une violation de leur corps, de leurs droits, dans un système où cette simple expression n’est pas tolérée, constitue en soi un acte politique, un acte de liberté. Au même titre que celui de s’exprimer dans un régime totalitaire.
Les femmes ne peuvent être réduites à leur seule vulnérabilité. Celle-ci n’a d’égale que leur force, leur refus de se soumettre. Une dualité dont témoigne cette édition sur la thématique genre – les mécanismes touchant les personnes LGBTI sont similaires.
Si l’appel d’elles pointe du doigt les risques d’une vie à la rue, sans protection, pour les femmes et les enfants, il a surtout le mérite de mettre en lumière des pratiques inadmissibles, inhumaines à l’égard de tout être humain. Pratiques qu’induisent les politiques migratoires suisse et européenne.
Car ce qui est intolérable pour les personnes vulnérables n’est pas plus acceptable pour les hommes.
SOPHIE MALKA