Santé | Le viol et la procédure d’asile: Entre négation ou réparation, le poids de la reconnaissance
Les femmes victimes de viols dans le cadre de conflits armés présentent une souffrance psychique qui nécessite autant des soins qu’une reconnaissance juridique et symbolique.Leur drame se complique en raison du tabou que constitue le viol auquel s’ajoute une atteinte aux liens filiaux. La victime n’est pas seulement l’objet d’une déshumanisation personnelle recherchée par les tortionnaires. Elle est aussi l’objet d’une exclusion sociale de la part de ses propres groupes d’appartenance. Dans ce contexte, la procédure d’asile revêt une fonction particulière, puisqu’elle aura pour effet de nier, ou de reconnaître leur statut de victime.
C’est dans ce cadre conceptuel que cet article présente trois vignettes cliniques qui ne peuvent être pensées sans leurs dimensions anthropologique, sociale et politique. Trois femmes victimes de viols qui ont demandé l’asile.
Lydie arrive en tailleur, avec son sourire accueillant habituel. Elle vient de réussir son premier stage en Suisse dans un magasin de vêtements. Quand je la regarde, je vois une jeune congolaise jolie, ravissante, intelligente, accrochée à la vie… Pourtant, elle continue à me dire: « Vous savez, je me trouve moche, je ne pense plus être intelligente, j’ai de la haine pour moi-même… ». Elle aurait voulu que sa vie s’arrête après le viol subi de la part de soldats de son pays. Elle se sent morte à l’intérieur. La Suisse a accueilli Lydie comme réfugiée. Lydie a été suivie depuis son arrivée en Suisse à la consultation spécialisée de l’association Appartenances. Le chemin de sa guérison est néanmoins long.
Olga présente un visage inexpressif. Sa vie a changé après avoir été violée en Biélorussie, dans un poste de police. Son regard est vide, elle ne pleure jamais en consultation. Elle a fait plusieurs tentatives de suicide. Lorsque les autorités suisses ont estimé son récit « non vraisemblable » et ont rendu une décision négative, elle a présenté des symptômes psychotiques. Elle vit en Suisse, à l’aide d’urgence, avec le risque d’être expulsée. Son état psychique s’est aggravé depuis qu’elle a senti la menace d’un renvoi dans le pays où elle a été abusée par des agents d’autorité. Elle craint la prison et des mauvais traitements. A ses yeux, la guérison n’est pas envisageable.
Avril (elle a choisi ce prénom pour changer son destin) n’a pas été renvoyée en Ethiopie après avoir vécu un calvaire fait de maltraitances sexuelles (avec des viols) sur son chemin jusqu’en Suisse. L’admission provisoire pour des raisons humanitaires lui a permis de rester en Suisse. Les personnes avec une admission provisoire ont beaucoup de difficultés à trouver un emploi. Avril en a trouvé un assez vite, mais à la condition d’accepter d’entretenir des relations sexuelles avec son employeur. Elle veut aider sa famille restée au pays. Les violences sexuelles qu’elle a vécues -non seulement durant le voyage, mais déjà dans son enfance: elle les avait oubliées jusqu’au moment où elle est tombée enceinte- l’ont convaincue que «vivre des relations équivaut à ne pas être respectée». Avril voudrait guérir et transmettre à sa fille une autre expérience d’être femme.
[caption id="attachment_40238" align="aligncenter" width="580"] Infographie: Agnès Stienne. Publiée dans VisionsCarto.net, le 4 août 2015 pour accompagner le billet « Viols en temps de guerre, le silence et l’impunité« [/caption]
VIOLS EN TEMPS DE GUERRE, LE SILENCE ET L’IMPUNITÉ
Les conflits ont pour causes les ressources naturelles, le pouvoir, politique ou religieux, mais c’est sur les femmes et les filles, utilisées comme armes de guerre, que les combats se déchaînent.
Agnès Stienne, artiste, cartographe et graphiste indépendante, a publié en août 2015 une synthèse historique et géographique, où elle dresse un état des lieux des crimes de guerre contre les femmes et l’efficacité des instruments juridiques censés les protéger.
Ci-dessus, une carte extraite de cette publication, à retrouver sur le site visioncarto.net.
Une triple peine
Les violences sexuelles sont un problème majeur de santé publique et d’atteinte aux droits humains. Lydie, Olga, Avril…et bien d’autres femmes et hommes sont en attente de justice, de protection, de reconnaissance et de soins.
Le viol comme arme de guerre est d’autant plus terrible que les victimes se trouvent frappées d’une «triple peine».
D’une part, le destin et les possibilités de réhabilitation des victimes ne peuvent être plus précaires puisqu’ils dépendent de la possibilité d’obtenir une certaine sécurité, une reconnaissance sociale et juridique et des soins suffisants. Toutes choses dont elles furent privées et qu’elles ne trouveront pas dans leurs pays d’origine, particulièrement parce qu’elles sont femmes. Dans le cadre de l’asile, la non-reconnaissance de leur état de victimes met à mal tout espoir de guérison et couvre leur drame d’un voile de suspicion.
D’autre part, le viol atteint aussi la communauté et la famille en détruisant les fondements que constituent la filiation et donc la continuité de ces groupes. Le viol présente un statut anthropologique particulier; c’est pourquoi il est l’arme de destruction culturelle et symbolique par excellence. Il annihile non seulement des femmes mais la virtualité même de la reproduction symbolique d’un groupe humain par la filiation et l’alliance.
Enfin, honte et sentiment de culpabilité s’abattent sur la victime, qui voit son groupe social d’origine se retourner contre elle et la rejeter. La communauté se sent atteinte dans son identité et ses valeurs : une annihilation recherchée par les auteurs du viol.
Ces femmes subissent ainsi une triple peine : victimes de leurs violeurs, victimes de la violation d’un tabou qui les rejette hors de tout lien symbolique et victimes d’une non reconnaissance par les instances et les juridictions vers lesquelles elles se tournent.
DRE MARÍA RÍO BENITO
ABDELHAK ELGHEZOUANI
Respectivement médecin responsable et psychologue – psychothérapeute FSP à Appartenances
La Consultation Psychothérapeutique pour Migrant-e-s (CPM) d’Appartenances propose une aide psychothérapeutique et psychiatrique spécialisée à des personnes présentant une souffrance psychique en lien avec la migration et/ ou un vécu de guerre, de torture ou d’une autre forme de violence collective. Plus de la moitié des traitements relève de la Consultation pour victimes de Torture et de Guerre (CTG), soutenue par la Croix-Rouge suisse.