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Notre regard

Livre | Rendez-vous ici ou au paradis. Le témoignage poignant d’une réfugiée

Le témoignage poignant de Fatima Softić, réfugiée bosniaque, vivant en Suisse depuis bientôt 25 ans, devenue citoyenne de notre pays.

Livre de Fatima Softić, Josiane Ferrari-Clément, publié aux Éditions Slatkine (2017). Cliquez ici pour voir la présentation du livre sur le site de l’éditeur.

Rendez-vous ici ou au paradis est la rencontre avec une femme courageuse, sensible et déterminée, dont la force de conviction et la capacité d’ouverture à l’autre lui ont permis de mener jour après jour son combat pour survivre, défendre les siens et de nombreux compatriotes, reconstruire sa vie dans son pays d’accueil. Un livre élaboré à partir d’un journal intime où les sentiments prennent la première place, un texte dont on n’a guère envie d’interrompre la lecture, tant il est écrit avec vie, émotion et authenticité.

Fatima Softić naît en 1961 en Bosnie, à Potocari, près de Srebrenica. Elle passe sa jeunesse et sa vie de jeune mariée, mère de deux enfants, à Bratunac, village proche de la frontière serbe, qui deviendra également le lieu d’un massacre.

En 1992, son mari, informé des dangers imminents menaçant la population bosniaque, l’enjoint de fuir en Croatie avec leurs deux enfants. Lui-même, pharmacien, se sent le devoir de rester. Il sera assassiné par les miliciens d’Arkan dans les semaines qui suivent.

Durant la guerre en Bosnie, entre 92 et 95, Fatima perdra 51 membres de sa famille. Il lui reste une sœur et ses deux parents, rescapés de Srebrenica, qui ont pu s’enfuir à Tuzla, ville libre de Bosnie. Elle ne les reverra qu’en décembre 1998.Son livre est dédié à toutes ces victimes, de même qu’àses enfants et petits-enfants «pour qu’ils n’oublient jamais». Il est aussi une lettre d’amour à son époux, Micky, dont la disparition fut pour elle durant des années quelque chose d’irréel, d’inacceptable, jusqu’au 12 mai 2007, quinze ans plus tard, lorsqu’elle put se rendre à son enterrement et à la cérémonie commémorant le massacre de Bratunac.

Capacité de résilience remarquable

Au cœur du récit de Fatima s’exprime cette infinie souffrance liée au deuil d’un être aimé disparu, sans preuve tangible de sa mort. Comment peut-on vivre avec cela? Les mots de Fatima, sa manière de se comporter durant son exil en Croatie, puis en Suisse, nous montrent l’importance d’éviter l’isolement, de pouvoir construire des projets utiles à soi et aux autres, dans son lieu d’accueil, mais aussi en lien avec ceux restés au pays. Tout cela nous le savons, mais le parcours de Fatima, sa lutte pour l’obtention du permis B, son engagement dans l’Association des mères bosniaques, sont particulièrement convaincants.Un autre moment du témoignage qui m’a beaucoup touchée: l’apprentissage du français. Fatima nous raconte des moments clés, chargés d’émotion pour elle et qui furent déterminants pour la «pousser à s’y mettre vraiment»… On constate que même chez une femme aussi volontaire que Fatima, le processus d’apprentissage ne peut se dissocier de la dynamique affective… Une réflexion que mènent depuis bien longtemps les personnes engagées dans l’apprentissage de la langue française auprès de personnes exilées, fragilisées et traumatisées.

Un livre qui fait résonance

Dans mon travail de mandataire bénévole, j’ai été amenée à rencontrer et à soutenir plusieurs familles bosniaques. En particulier des veuves de guerre, se retrouvant seules avec leurs enfants. Et puis, il y a deux ans environ, j’ai eu l’occasion de me rendre en Bosnie-Herzégovine, notamment dans la région d’origine de Fatima. J’ai pu voir combien la vie reprend difficilement dans ces villages, combien les tensions ethniques et la peur perdurent. C’est dire à quel point l’ouvrage de Fatima m’a émue. Je dirais même, «m’a fait du bien». Quand elle raconte son histoire, avec des mots si simples et si directs, elle témoigne pourtant d’autres femmes, leurs souffrances difficilement exprimables, leurs luttes quotidiennes restées le plus souvent invisibles.Au moment où nous pouvons lire ce livre, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a rendu ses derniers jugements. Une phase considérée comme extrêmement importante pour la reconnaissance du génocide. Avec cependant une ombre: le suicide du dernier condamné en pleine salle d’audience. Un événement lourd d’incertitudes à venir. Plus que jamais il importe de ne pas oublier. Le courage de Fatima y contribue.

DANIELLE OTHENIN-GIRARD