REISO | Migration LGBTI: une minorité oubliée
Le nombre de demandes d’asile déposées pour des raisons d’orientation sexuelle ou d’identité de genre est en augmentation. Actuellement, la Suisse discrimine cette minorité et ne tient pas compte de ses vulnérabilités spécifiques.
Article écrit par Eric Périat, répondant Accueil & Ecoute VoGay, infirmier et conseiller en santé sexuelle au Checkpoint Vaud, Gestalt-thérapeute. Cliquez ici pour accéder à l’article sur le site web REISO.org – revue d’information sociale.
Dans le cadre du mandat Accueil & Ecoute de l’association VoGay [1] et dans le contexte de mes fonctions d’infirmier et conseiller en santé sexuelle auprès d’un public HSH [2] au Checkpoint Vaud de la fondation PROFA à Lausanne, je suis de plus en plus sollicité par des assistantes sociales, par des infirmières, par le centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe et par des privé·e·s qui m’adressent des personnes LGBTI migrantes ou par elles-mêmes. Dans un premier temps, je les rencontre et dans un deuxième temps, dans la limite de mes fonctions, je les accompagne et les oriente vers les services et les associations spécialisées. Des liens se tissent et la découverte de leur histoire et de leur actualité indique que comme la plupart des pays européens, la Suisse n’est pas en conformité avec ce qu’elle devrait leur offrir.
La migration des populations menacées par des problèmes économiques, écologiques, religieux, culturels, liés à une orientation sexuelle minoritaire ou à une identité de genre non congruente représente actuellement un enjeu humanitaire prioritaire. Nous préparer et nous adapter à accueillir ces personnes en errance à travers le monde représente un devoir auquel la société doit répondre en respectant les règles dictées par le droit international et selon les critères éthiques appliqués à toute personne. Accueillir et soigner, rétablir une sécurité existentielle qui a volé en éclat en intégrant ces populations dans la vie de notre pays doit être le point de mire des institutions sociales et de santé pour qu’elles considèrent sans tarder ces problématiques dans leurs réflexions et qu’elles adaptent leurs actions.
Pour mémoire, un extrait des principes de la Convention de Genève [3] relative au statut des réfugié·e·s, base de la politique de la Confédération en matière d’asile: «Quiconque est menacé ou persécuté dans son Etat d’origine selon les critères reconnus par le droit international public obtient l’asile en Suisse.»
Les droits LGBTI bafoués
« La répression de l’homosexualité est un des fils rouges les plus sinistres ? de notre humanité », écrit Robert Badinter. Toute personne doit pouvoir bénéficier des droits consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et pourtant, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, des millions d’êtres humains sont exposés aux violences et aux discriminations dans le monde entier.
Les Principes de Jogjakarta [4] sur l’application du droit international des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre ont vu le jour au mois de mars 2007. Ils visent à appliquer le droit international relatif aux droits humains, aux atteintes subies par les lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et transgenres, afin de renforcer la portée universelle de ces droits.
- 7 Etats dans le monde punissent l’homosexualité par la peine de mort
- 30 Etats par une peine supérieure à 10 ans d’emprisonnement
- 40 Etats par des peines d’emprisonnement ou de châtiments corporels qui se terminent le plus souvent par la mort
Considérées comme anormales, persécutées et diabolisées, des personnes LGBTI subissent des violences homophobes et/ou transphobes dans certains pays qui les contraignent à prendre la fuite. Souvent au péril de leur vie, elles arrivent par bateaux, cachées, entassées au fond de camions crasseux dans l’espoir de trouver protection et sécurité en Europe?, convaincues d’être à l’abri des stigmatisations et des persécutions.
Les discriminations en Suisse
Qu’en est-il de la situation des personnes migrantes LGBTI en Suisse? Le nombre de demandes d’asile déposées pour des raisons d’orientation sexuelle et/ou d’identité de genre est en augmentation. Cependant, les personnes concernées restent largement invisibles au sein des dispositifs d’accueil institutionnels et associatifs. En 2016, la Suisse se classait 25e sur 49 pays européens avec seulement 33,15% d’égalité juridique pour les personnes LGBTI. Comme le relève le rapport sur la Suisse de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de 2014 [5]: «D’une manière générale, la société suisse ne s’est pas encore rendu compte de l’ampleur des problèmes spécifiques auxquels les personnes LGBTI et notamment les personnes transgenres et intersexuées font face. Or, elles sont victimes de discriminations, de rejet et d’hostilité dans divers domaines, comme le travail, le logement, les contacts avec les autorités, la santé ou encore l’environnement familial, scolaire et social.»
Lorsque les ressortissant·e·s d’un pays fuient la guerre, ils et elles arrivent avec l’espoir de trouver la sécurité et la protection dans le pays qui les accueillera et c’est en général le cas. Pour les personnes LGBTI, il n’en va pas de même. Le risque d’être confrontées à de l’homophobie, de la transphobie dans les centres pour requérant·e·s d’asile est réel et il n’est pas rare qu’elles subissent à nouveau des discriminations, des violences physiques.
Certains facteurs de vulnérabilité concernent toutes les personnes réfugiées. Citons entre autres une faible connaissance de la langue, des traumatismes liés à des persécutions passées, un stress provoqué par le déracinement et l’acclimatation, de l’incertitude quant au résultat de la demande d’asile, des limitations d’accès aux services dues au statut juridique, une méconnaissance de ses droits et du système de prise en charge, des conditions d’accueil précaires, une situation économique défavorisée, des difficultés d’accès au marché du travail, une intégration dans la société d’accueil difficile, des préjugés et des discriminations à caractère raciste.
Les facteurs de vulnérabilité spécifiques
D’autres facteurs de vulnérabilité s’ajoutent à cette liste pour les personnes réfugiées LGBTI. Par exemple un sentiment de honte, la non acceptation de soi, un isolement social et émotionnel, des troubles d’ordre psychologique, des infections sexuellement transmissibles, des préjugés et des discriminations à caractère homophobe et/ou transphobe, des expériences de violence de genre et, souvent, une inadéquation entre le genre officiel et le genre vécu ainsi qu’une dépendance au traitement hormonal pour les personnes trans*.
Le logement en foyer représente une difficulté majeure que rencontrent très souvent les personnes réfugiées LGBTI. Le fait d’habiter dans ces endroits sinistres, isolés, qui ne disposent pas d’espaces privatifs, les exposent à une violence homophobe ou transphobe accrue de la part d’autres personnes réfugiées venant de pays qui ne sont pas ouverts sur les questions OSIG. Ainsi, le fait de revivre ces violences renforce leur traumatisme et ne leur permet pas de trouver la sécurité à laquelle ils et elles aspiraient en envisageant un nouvel avenir.
Les personnes réfugiées sont soumises à de multiples procédures administratives. Elles sont donc amenées à rencontrer de nombreux acteur·trice·s auxquel·le·s elles doivent montrer leur permis ou autres documents administratifs. Pour les personnes trans*, le fait de ne pas avoir de papiers qui correspondent à leur expression de genre représente un outing. Pour elles, la situation est encore plus délicate quand elles arrivent en Suisse sous traitement hormonal. Ces hormones ne leur seront accessibles qu’après prescription médicale et validation du remboursement par la caisse maladie. Ces démarches ainsi que l’obtention d’un rendez-vous chez un endocrinologue peuvent prendre de nombreuses semaines.
Les pistes d’action concrètes
Face aux personnes migrantes LGBTI, la Suisse n’est pas en conformité avec le droit international pour répondre adéquatement à leurs besoins. Des mesures commencent à voir le jour, notamment la mise sur pied de projets en lien avec le monde associatif et les autorités politiques.
Le rapport Asile LGBT Genève [6] résume parfaitement la situation et présente les pistes d’action concrètes: «La prise en compte adaptée de besoins spécifiques nécessite d’abord de reconnaître l’existence d’individus dans des situations spécifiques de vulnérabilité. Rendre les réfugié·e·s LGBTI visibles (en tant que groupe pas individuellement) auprès des différents acteurs et de leurs publics est la porte d’entrée à leur prise en charge. Celle-ci doit être améliorée pour répondre à leurs besoins et permettre leur accès aux ressources et aux droits en toute sécurité. Ceci implique de créer les conditions qui leur permettent de vivre ouvertement leur OSIG. Enfin, le fait de favoriser leur participation aux décisions et aux actions qui les concernent permettra de mettre en œuvre des programmes véritablement adaptés, et de renforcer leur empowerment individuel et collectif.»
Eric Périat