Criminalisation du sauvetage en mer. Appel international
Qui sont les criminels? Les pêcheurs et capitaines de bateaux qui décident de sauver des vies en danger et de les ramener dans un port sûr, comme le prescrit le droit de la mer? Ou l’État européen qui a décidé que, quel qu’en soit le prix humain et moral, ces personnes ne devaient pas atteindre les côtes européennes?
Les capitaines des bateaux des ONG, qui ont décidé de patrouiller en Méditerranée pour empêcher une hécatombe? Ou chacun des États européens qui a accepté de financer le gouvernement libyen pour qu’il empêche, intercepte en mer et retienne les personnes migrantes sur son territoire, même si cela signifie pour ces personnes des violations crasses des droits de l’homme, de la torture, de la détention? Alors qu’un « hangar » de la banlieue de Tripoli dans lequel étaient détenues près de 120 personnes migrantes et réfugiées a été, ce mercredi 3 juillet 2019, la cible d’une frappe aérienne des forces anti-gouvernementales, tuant 40 personnes et faisant quelque 70 blessés, comment les dirigeants européens peuvent-ils encore prétendre que la Libye est un lieu « sûr » pour débarquer les réfugiés et migrants? Des réfugiés détenus dans des hangars?
Nous publions ci-dessous un appel international en soutien à Carola Rackete et de Pia Klemp, deux capitaines de bateau allemandes jugées en Italie pour avoir sauvé des vies. L’appel a été lancé par le Comité Européen contre la Criminalisation du Sauvetage en Mer, une coalition d’organisations et d’individus déterminés à empêcher les gouvernements européens de laisser les gens mourir en mer et de punir ceux qui les aident. L’auteur principal de cet appel est Etienne Balibar, philosophe. La pétition compte déjà plus de 50’000 signatures.
Sophie Malka
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Non-assistance. petit rappel juridique
Droit international – sauvetage en mer
La Convention Internationale pour la Sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS, 1974) et la Convention Internationale sur la Recherche et le Sauvetage maritime, (Convention SAR, 1979) obligent les Etats à coopérer en matière de sauvetage, à la fois pour prendre le relais du capitaine dans ses fonctions d’assistance aux survivants et pour permettre aux personnes secourues en mer dans de telles circonstances d’être débarquées rapidement en un lieu sûr.
HCR, OIM, Sauvetage en mer, Guide des principes et des mesures qui s’appliquent aux migrants et aux réfugiés, HCR / OIM
Code pénal suisse
Art. 128 Omission de prêter secours
- Celui qui n’aura pas prêté secours à une personne qu’il a blessée ou à une personne en danger de mort imminent, alors que l’on pouvait raisonnablement l’exiger de lui, étant donné les circonstances
- celui qui aura empêché un tiers de prêter secours ou l’aura entravé dans l’accomplissement de ce devoir,
- sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Avec Carola Rackete et Pia Klemp, pour la justice et l’humanité
Au gouvernement italien
Au Parlement européen, à la Commission européenne et aux gouvernements de l’Europe
A tous les citoyens et citoyennes de l’Europe
[caption id="attachment_53858" align="alignnone" width="1080"] Image: Sea watch[/caption]
Un appel international
En faisant arrêter la capitaine Carola Rackete comme « hors la loi » et l’accusant de « rébellion » militaire, en séquestrant son navire comme « bateau pirate », en menaçant l’ONG propriétaire d’une « maxi-sanction » de dizaines de milliers d’euros, le Ministre Matteo Salvini qui semble exercer désormais dans son pays un pouvoir sans limites vient d’ajouter le délire à l’infamie. C’est lui qui place l’Italie en dehors du droit international et des principes fondamentaux dont nos Etats tirent leur légitimité démocratique. De graves conséquences vont s’ensuivre si on n’y fait pas obstacle.
De son côté, en « forçant le blocus » de la douane italienne après 14 jours d’atermoiements de l’UE et l’aveu d’incapacité lamentable de la CEDH, en accostant malgré l’interdiction à Lampedusa pour sauver ses passagers en détresse, la Capitaine du Sea Watch 3 n’a fait que son devoir. Elle en a assumé les risques mais ne doit pas en payer injustement le prix. Il appartient aux citoyens d’Europe et à leurs gouvernements – premiers concernés et impliqués – de faire immédiatement le nécessaire pour que cesse la persécution illégale et déshonorante contre les sauveteurs et l’équipage du Sea Watch 3.
Ne l’oublions pas cependant : une autre capitaine allemande est jugée en Italie pour avoir sauvé plus d’un millier de vies en Méditerranée : accusée d’aide à l’immigration clandestine et de complicité avec les « passeurs », Pia Klemp risque vingt ans de prison pour les vies qu’elle a sauvées – ce qui provoque l’indignation de beaucoup en Europe et dans le monde mais ne semble pas émouvoir nos gouvernements. On veut faire peur aux sauveteurs, mais Carola et Pia ne seront pas les dernières à prendre de tels risques alors que l’hécatombe des noyades se poursuit en Méditerranée avec la complicité des Etats qui devraient l’empêcher.
Nous exigeons donc que le gouvernement italien se ressaisisse, abandonne ses poursuites, libère immédiatement la capitaine Rackete et débloque le Sea Watch 3 pour qu’il puisse poursuivre sa mission. Nous exigeons qu’il accueille les hommes, femmes et enfants rescapés de la guerre et de la noyade, en concertation avec les ONG et les autres pays européens, et instruise correctement leur demande d’asile. Nous exigeons qu’il cesse de criminaliser la solidarité exercée au nom des droits humains par ses propres citoyens. Nous exigeons qu’il cesse d’ameuter l’opinion publique contre les migrants dénués de tout et forcés de quitter l’Afrique.
Nous appelons le nouveau Parlement européen à proposer, la Commission à élaborer, et les Gouvernements à décider enfin, dans l’esprit de la Convention de Genève, la politique commune de l’asile, ainsi que les règles de répartition équitable des personnes qui permettront à l’Europe de remplir ses obligations, de restaurer sa légitimité morale, en faisant preuve de sa capacité politique. Nous les appelons à respecter les conventions SOLAS et SAR qui imposent le débarquement en lieu sûr des personnes secourues en mer, en déclarant que ni la Libye ni la Tunisie ne sont aujourd’hui des lieux sûrs. Nous les appelons à ordonner la reprise des sauvetages en mer et à cesser de financer et d’entraîner les garde-côtes libyens qui traquent et torturent les fugitifs sous prétexte de lutter contre les trafics. Toute autre attitude est en réalité criminelle, elle relève de la lâcheté et de l’idiotie. En voulant épargner des conflits à l’Europe, elle les aiguise et détruit son propre avenir.
Enfin nous appelons tous les citoyens et citoyennes d’Europe à s’élever contre la politique d’hostilité envers les réfugiés et les migrants dont l’Italie aujourd’hui se fait gloire et que d’autres pays pratiquent de façon hypocrite. Nous les appelons à se solidariser avec Carola Rackete et Pia Klemp. A l’heure où Matteo Salvini et d’autres cherchent ainsi à nous entraîner dans l’ignominie, ces femmes courageuses, avec leurs équipages, sont l’honneur du continent européen. Citoyens et citoyennes de l’UE, battons-nous pour les libérer et rejoignons-les dans leur combat qui s’amplifie. Il est certes difficile, mais ses enjeux sont incontestables : contre l’arbitraire, contre l’hystérie xénophobe et le racisme, pour le droit, pour la vie humaine, pour l’hospitalité et aux côtés de tous ceux qui la font vivre. Ne restons pas spectateurs.