Éditorial | La rencontre, antidote à l’exclusion
C’est la perte d’un bien qui nous en rappelle la richesse. La rencontre, l’échange, la liberté de circuler, de voyager, notamment pour retrouver nos proches, ont pris ces derniers mois une valeur inestimable. Chacun·e aspire à renouer avec cette insouciance, la possibilité de se projeter au-delà de quelques semaines, ce sentiment de quiétude vis-à-vis de notre sécurité et de celle de nos aînés·e·s. Pourquoi ne pas profiter de ces instants pour sensibiliser la population suisse aux restrictions à la liberté de mouvement réservées par nos lois aux personnes issues de l’asile?
Aux nouveaux arrivant·e·s, hébergé·e·s dans les grands centres fédéraux, on impose des horaires de sortie dont les sanctions en cas de non-respect ont conduit la Commission nationale de prévention de la torture à qualifier ce régime de semi-détention[1]. Autre limitation: l’assignation à un canton et la quasi-impossibilité d’en changer selon le statut obtenu, compris lorsqu’un membre de la famille pouvant aider à s’orienter dans ce nouvel environnement se trouve à l’autre bout du pays ou que l’on maîtrise déjà une autre langue nationale que celle du lieu d’attribution.
Et puis, même si on obtient une protection, reste l’interdiction de sortir de Suisse pour les titulaires d’une admission provisoire, qui empêche la visite aux proches que le destin a conduits dans un autre pays européen. Ou la récente loi interdisant aux réfugiés statutaires de voyager dans certains États voisins de leur pays d’origine. Y sont parfois réfugié·e·s d’autres membres de la famille.
Toutes ces restrictions de mouvement et de voyage, inutiles, injustes, et pour certaines encore en jeu au Parlement fédéral [2], méritent d’être à nouveau dénoncées. À la lumière de l’expérience actuelle, le public pourrait davantage en ressentir la portée émotionnelle et intime. Dictées par la croyance que plus les conditions de vie sont difficiles ici, moins les personnes en exil sont tentées d’y chercher une protection, ces mesures écartent de l’espace public et démocratique toute une population. Et minent les politiques d’intégration et les efforts de participation à la vie de la cité des personnes qui arrivent sur sol helvétique.
Cette mise à distance porte également atteinte à notre propre liberté de rencontrer les personnes issues de la migration, d’écouter leurs histoires, d’exercer notre hospitalité, comme le souligne Philippe Borgeaud, professeur d’histoire des religions (p. 2).
Alors que les autorités genevoises se sont engagées, malgré les oppositions citoyennes, dans la construction d’un centre fédéral aux abords de l’aéroport, il n’est pas trop tard pour revendiquer des conditions dignes, pour refuser les barbelés, les fouilles et les conditions semi-carcérales qui prévalent dans d’autres centres fédéraux [3]. Pour refuser que les enfants soient scolarisés à part.
Pas trop tard, non plus, pour exiger un droit de regard démocratique sur la conduite de la politique migratoire. Vu la façon dont la Confédération attribue ses mandats de gestion des centres ou de prestations médicales (p. 22) et les failles de la nouvelle procédure d’asile accélérée (p.16), il est même urgent d’agir.
La rencontre, l’écoute, le partage d’information sont de précieux outils de résistance dont nous encourageons l’usage, même masqué·e·s !
Sophie Malka
- CNPT, Prise de position de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) au Comité des Nations unies contre la torture (CAT) concernant le 7e rapport périodique de la Suisse, 2015
- Modification de la Loi sur les étrangers et l’intégration 20.063
- À Zurich, le centre fédéral où avait été testée la restructuration ne procédait pas à des fouilles à chaque entrée.