Éditorial | « Après, on verra »
Sami ne veut pas trop y penser, à l’après. Il vit dans le moment présent, saisit toutes les opportunités qui se présentent à lui pour avancer. Certainement que dans ses tripes se terre l’angoisse de savoir ce que l’avenir lui réserve. Assurément a-t-il l’espoir de voir ses efforts d’intégration récompensés par une régularisation. Espoir tellement humain!
C’est cet espoir qui le tient. Comme des dizaines d’autres, il a reçu une décision négative à sa demande d’asile alors qu’il avait entamé un apprentissage. Mais contrairement à d’autres, il a bénéficié d’une tolérance cantonale lui permettant de terminer sa formation. Sans cette tolérance, il aurait dû y renoncer, n’aurait pas gagné la part du salaire d’apprenti qui lui est concédée et aurait dû solliciter auprès de son canton le montant de survie que représente l’aide d’urgence.
C’est une telle tolérance que demande d’inscrire dans la loi sur l’asile la motion* examinée au Parlement fédéral ce printemps et contre laquelle le Conseil fédéral déploie des arguments souvent fallacieux (p.4). Motion inspirée de la pétition un apprentissage–un avenir, notamment soutenue par de nombreux employeurs sidérés par la brutalité de la décision administrative de mettre fin à l’apprentissage de centaines de jeunes qu’ils ont côtoyé·e·s et formé·e·s. Car une telle mesure ne frappe pas seulement ces garçons et filles déracinés qui se reconstruisent. Tout leur entourage est affecté (BD p.7-9). Et on ne parle même pas des risques qu’induit pour ces jeunes le passage à une clandestinité, en Suisse ou ailleurs, les rendant vulnérables aux trafics et violences.
Cette situation est le résultat des errements d’une politique d’asile élaborée à Berne par des technocrates et des politiques déconnectés des réalités humaines.
Le régime de l’aide d’urgence, d’abord. Déchéance de l’aide sociale et interdiction de travail sont censées créer des conditions de vie suffisamment dissuasives pour rapidement inciter le départ «volontaire» de Suisse des personnes déboutées. Sauf que face à la réalité, le «rapidement» fonctionne moyennement. Si bien qu’à ce jour on trouve quelques ados de 15-16 ans, nés en Suisse, menacés d’interruption de leur formation ou apprentissage. Ils n’ont connu que ces conditions sociales volontairement avilissantes.
La faute au mythe que les personnes ont «choisi» de fuir leur pays, que le rejet d’une demande d’asile signifie que la personne n’a pas besoin de protection. Une pure construction politique là encore. Prenons le Nigéria, pays pour lequel la procédure d’asile est calibrée sur la volonté de maintenir un «faible» taux de reconnaissance du statut de réfugié·e·s. La situation des droits humains y est-elle irréprochable (p.12)? Ou l’Érythrée, dont la dictature en place a été rendue fréquentable par des groupes politiques pour la seule raison que le nombre de demandes d’asile était trop élevé. À force de pressions, les juges du Tribunal administratif fédéral ont plié et la Suisse est devenue le seul pays européen à leur refuser une protection. La suite on la connaît: des jeunes, parfois arrivés mineurs en Suisse, frappés d’une décision de renvoi impossible à exécuter et inenvisageable pour eux parce que leur pays est resté le même (p.10).
Alors que faire sinon changer la loi ? Tout le monde en sortira gagnant. Les ajustements cantonaux, pragmatiques, qui cherchent à pallier les travers d’un arsenal législatif inadapté, ne sont rien d’autre que des pansements. Imparfaits et fragiles.
Sophie Malka
Par 24 voix contre, 18 pour et 3 abstentions, le Conseil des États a finalement rejeté le 1er mars 2021, en ouverture de sa session de printemps, la motion 20.3925 visant à laisser les jeunes débouté·e·s achever leur formation. Il enterre ainsi des mois de mobilisation citoyenne et un projet largement porté par le Conseil national. Une décision purement idéologique. Et coûteuse, aussi pour les cantons, comme le montre notre décryptage.