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Notre regard

Mobilisation | Jeunes débouté·es: le besoin d’exister

Lucine Miserez

Entre 2015 et 2016, des centaines d’adolescent·es sont arrivé·es en Suisse seul·es pour y demander une protection. Encore enfants, ils et elles avaient quitté leurs familles, fui leur pays pour entreprendre une route migratoire de plusieurs mois, voire années, au péril de leur vie. Le hasard de la procédure d’asile en a conduit une partie à Genève. Les jeunes de moins de 19 ans ont pu être scolarisés. Certain·es ont été accueilli·es en famille d’accueil ou famille-relais ; d’autres ont intégré des associations sportives, culturelles. Tant bien que mal, les autorités cantonales ont rempli leurs obligations, notamment en matière de scolarisation et d’hébergement. La solidarité de la société civile était grande, prenant diverses formes, toujours mues par la générosité et la bienveillance. Il était juste et nécessaire d’accueillir ces adolescent·es et adultes en devenir.

Image extraite d’une vidéo témoignage. Vivre Ensemble / Julien Norberg

Enfin arrivé·es quelque part, les jeunes (qui le pouvaient) ont pour la plupart saisi leur chance d’entamer une formation, appris notre langue et nos codes, tenté de rattraper le temps perdu sur les bancs de l’école… pour se construire un avenir.

Un avenir largement conditionné cependant à leur situation administrative, où les inégalités prévalent. Certain-es ont obtenu un statut (permis F ou B réfugié), d’autres attendent encore. D’autres encore ont vu leur demande d’asile rejetée, une décision tombée souvent juste après leur majorité. [1]

À Genève, en juin 2021, 60 jeunes personnes isolées se trouvent ainsi déboutées. Elles ont entre 18 et 25 ans. La moitié est en formation.La décision négative est souvent intervenue après 3, 4, 5 ans de vie à Genève, une intégration souvent exemplaire, des pro- jets professionnels en cours, une vie sociale et affective bien ancrée dans la cité. Une décision négative qui résonne comme un coup de massue, qui stoppe en plein vol. Une décision négative qui rend tout incertain, incompréhensible. Et qui est aussi une douche froide pour les enseignant-es et les éducateur·trices qui ont accompagné ces jeunes, pour les familles qui les ont accueilli·es et toutes les personnes qui les ont aidé·es à prendre leur place. Les jeunes scolarisé·es ont la boule au ventre et de la peine à se concentrer sur leur formation. Quel avenir après l’école ? Y aura-t-il une possibilité d’apprentissage dual, une autorisation de travail ? La crainte de se retrouver sans activité est grande et angoissante. La peur d’un renvoi forcé est lancinante.

Démarches politiques

En septembre 2019, le Grand Conseil genevois accepte deux motions (M2524, M2526) et une pétition (P2066) [2] visant à l’insertion professionnelle de ces adultes en devenir qui ne peuvent être renvoyé·es et l’octroi d’un permis de séjour. Un vote qui redonne espoir, comme une bouffée d’oxygène… En décembre 2019, une ren- contre avec la délégation migration du Conseil d’État laisse espérer que le canton de Genève fera davantage usage de l’art. 14 al. 2 LAsi, cette disposition permettant l’octroi d’un titre de séjour sous certaines conditions et sur demande du canton aux autorités fédérales.

Or, à ce jour, le Conseil d’État n’a pas pris de mesures permettant un examen systématique de la situation des personnes répondant aux exigences édictées par l’art. 14 al. 2 LAsi. De même, aucune mesure spécifique n’a été prise pour favoriser l’insertion professionnelle de ces jeunes. Nous sommes réduits à négocier au cas par cas des autorisations de travail, dans un cadre peu ou pas défini, malgré les recommandations formulées par le Grand Conseil.

« Le papier blanc prend toute la place dans
ma tête. Il m’empêche de pouvoir penser à après. »

La déception est grande, particulièrement pour celles et ceux qui ont exposé leur situation à maintes reprises, y compris auprès des autorités et espéraient un réel appui du canton. Ces blocages successifs, pour l’obtention d’une autorisation de formation et/ou d’un permis B humanitaire, sont souvent vécus comme une nouvelle décision négative, un 2e rejet.

Choquée par l’absence d’action du Conseil d’État, la Coordination asile.ge a lancé en juillet 2020 un recensement auprès de l’ensemble des 15-25 ans débouté·es vivant dans le canton. Nous voulions rendre visible les jeunes invisibilisé·es et illégalisé·es, mettre des noms, des visages, des projets sur des « papiers blancs ». Nous voulions dire concrètement de qui et de quoi on parle. Et tenir compte de celles et ceux qui,alorsâgé·esdeplusde19ans, n’ont pas été scolarisé·es. Traité·es comme des adultes, ils et elles sont resté·es le plus souvent en marge des mesures d’intégration et n’ont pas bénéficié du même accueil et accompagnement que leur·es cadet·tes.

Nous avons rencontré ces garçons et filles à plusieurs reprises et nous les accompagnons au mieux de nos possibilités, tant individuellement que collectivement. Une jolie dynamique s’est installée, faite de confiance et de projets communs. Nous rendrons public notre travail le 24 juin (encadré).

Image extraite d’une vidéo témoignage. Vivre Ensemble / Julien Norberg

Un soutien nécessaire

Ces échanges ont permis de faire émerger, une fois de plus, l’importance de l’accueil et de l’accès à des mesures d’intégration dès l’arrivée. Les plus solides et les mieux armé·es pour affronter ces situations innommables, capables de porter la voix du groupe, sont celles et ceux qui ont été (et sont encore) accueilli·es, entouré·es, accompagné·es dans leur quotidien et leur cursus. Ils et elles ont une meilleure compréhension de la société suisse et genevoise, arrivent plus facilement à se projeter dans l’avenir et à participer à une démarche collective. Les autres se retrouvent bien souvent en marge, à l’écart malgré eux, ayant de la peine à exister et à se faire entendre.

Malgré des parcours exemplaires, certain·es jeunes sont effondré·es et ne sont pas sûr·es d’arriver à se relever. D’autres trouvent encore et toujours les ressources pour continuer à avancer, forçant l’admiration. Toutes et tous nécessitent notre attention et notre accompagnement. Nous pouvons dire avec certitude que cette situation les affecte fortement et porte atteinte à leur santé. Le travail quotidien des associations et des bénévoles doit aujourd’hui être reconnu, respecté et pris en compte. Sans ce soutien, de nombreuses personnes iraient beaucoup plus mal encore. Le respect de la dignité humaine a un prix. La bafouer a un coût bien supérieur. C’est pourquoi nous espérons être entendu et qu’ils et elles soient pour une fois écouté·es. Ces jeunes, nos jeunes, ont un visage, une histoire et méritent d’accéder à une existence digne.

Courage politique

Accueilli·es hier, il est injuste et inacceptable de reléguer ces jeunes adultes au statut d’indésirables. Le canton doit aujourd’hui avoir le courage de se positionner en faveur d’une stabilisation de leur situation auprès des autorités fédérales. 60 jeunes, c’est énorme au regard des vies mises entre parenthèses et d’un avenir mis en péril. 60 jeunes, ce n’est pas grand-chose au regard des milliers de jeunes insérés dans les divers dispositifs de formation et d’intégration du canton. Les outils existent pour permettre la formation, l’intégration et la régularisation d’une très grande partie des jeunes débouté·es : ces outils sont juridiques et politiques. Un peu de courage et de volonté politique qui peuvent changer la vie de plus de dizaines de jeunes personnes à court terme !!! Le canton de Genève va-t-il enfin être à la hauteur de la tradition humanitaire dont il se targue ?

LUCINE MISEREZ Présidente de la Coordination asile.ge

« AVEC LE PAPIER BLANC, JE N’AI PAS LE DROIT DE RÉALISER MON RÊVE »

Soirée de témoignages et d’échanges dans le cadre de la campagne Éducation pour toutes et tous!

Lien pour suivre l’évènement en ligne

Le 24 juin, les organisations membres de la Coordination-asile.ge organisent une soirée en ligne de témoignages et d’échanges dans le cadre de la campagne Éducation pour toutes et tous ! Elle a pour but de donner la parole à des jeunes vivant à Genève depuis plus de cinq ans et de rendre visible leur situation.

Le rejet de leur demande d’asile est souvent tombée à leur majorité, les laissant dans un no man’s land administratif et une angoisse existentielle. Leur volonté de prendre la parole à l’occasion de cette soirée témoigne du combat quotidien qu’ils et elles mènent pour avoir une vie digne et se construire un avenir. Un avenir que pour l’heure, le monde politique leur refuse, malgré de nombreuses démarches de la Coordination. Un rapport et des témoignages vidéos ont été réalisés à cette occasion par l’ODAE romand et Vivre Ensemble.

À découvrir ici :
· odae-romand.ch
· education-maintenant.ch
· asile.ch

[1]  Les recommandations de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) n’ont à cet égard pas été respectées. Selon la CDE, la demande d’asile d’un·e mineur·e non accompagné·e doit être traitée en priorité parles autorités. Voir Unige, Faculté de droit, Law Clinic « Les droits des jeunes personnes migrantesnon accompagnées » p. 30

[2]  M2524 A et B : « pour une prise en charge jusqu’à 25 ans des jeunes adultes relevant de l’asile » ; M2526 A et B : « Faciliter l’insertion professionnelle et l’octroi d’un permis de séjour aux personnes déboutées de l’asile dont le renvoi n’est pas réalisable » ; P2066 A et B : « Droit de rester pour les Érythréennes et Érythréens »