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Notre regard

Sri Lanka | Le retour des hommes du passé

Julien Norberg

Le 9 février 2021, Michèle Bachelet, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme a appelé les États membres à « revoir la pratique en matière d’asile à l’égard des ressortissant·es srilankais·es afin de protéger les personnes qui risquent des persécutions et éviter tout renvoi dans les cas qui présentent un risque réel de torture ou d’autres violations graves des droits humains»[1]. Une recommandation qui n’est que la conclusion logique et sévère du récent rapport sur la situation prévalant au Sri Lanka. Y sont notamment dénoncées la militarisation des structures gouvernementales, des menaces contre les médias et la société civile, une stigmatisation des minorités et des interférences du gouvernement dans les enquêtes visant à faire la lumière sur les crimes et disparitions commis lors du conflit qui a ravagé le pays entre 1983 et 2009 [2]. L’avènement au pouvoir de Gotabaya Rajapaksa en 2019 a marqué le retour en force de personnalités impliquées dans la guerre civile. Pour Michèle Bachelet, « le gouvernement est incapable de faire face à un passé qui continue à avoir des effets dévastateurs ».

Données socio-démographiques

Capitale : Colombo

Superficie : 65’610 km2

Population : 23’044123 d’habitant·es

Langues majoritaires : cingalais, tamoul, anglais

Religions : Bouddhisme, Hindouisme, Islam et Christianisme

La lueur d’espoir de 2015

Les années suivant le conflit sanglant ayant opposé le gouvernement cinghalais et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) se caractérisent par une impunité de part et d’autre vis-à-vis des crimes de guerre et des pratiques systématiques de torture, d’arrestations arbitraires ou encore d’assassinats envers la minorité tamoule. La formation d’un gouvernement d’unité nationale en 2015 laisse enfin croire à un changement. La Constitution est amendée afin de renforcer les institutions démocratiques et indépendantes. Le pays entame un travail de mémoire en instituant des bureaux chargés des questions des personnes disparues et des réparations. Le gouvernement s’engage devant l’ONU à favoriser la réconciliation et à promouvoir les droits humains au Sri Lanka (résolution 30/1 du Conseil des droits de l’Homme).

Militarisation des structures étatiques

Ces tentatives de mettre en œuvre une justice transitionnelle s’érodent dès l’arrivée à la présidence de Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019. Il se dépêche de nommer Premier ministre son frère, Mahinda Rajapaksa, qui dirigeait le pays lors des dernières années de guerre. Tous deux sont accusés de crimes de guerre [3]. Une nouvelle dynamique de gouvernance est mise à l’œuvre et les avancées démocratiques sont remises en cause. Les prises de paroles du nouveau président sont empreintes d’une rhétorique nationaliste pro-cinghalaise [4] et s’accompagnent de nouvelles politiques publiques qui excluent les minorités ethniques. Les communautés tamoules ou encore musulmanes sont ainsi stigmatisées, une situation accentuée par la pandémie.

Le 25 novembre 2019, l’enlèvement d’une employée de l’ambassade suisse à Colombo provoque la stupeur. La femme racontera avoir été contrainte de divulguer des informations sur des Srilankais·ses ayant demandé l’asile, et en particulier un haut fonctionnaire enquêtant sur les crimes de guerre. Le nouveau président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, venait d’être élu. ©UNHCR / Norman Ng

En décembre 2019, quelque 31 départements gouvernementaux [5] sont placés sous l’égide du Ministère de la Défense: télécommunication, affaires migratoires, organisations non gouvernementales. 28 militaires sont nommés aux postes-clés de certaines entités (développement rural, santé) et y sont parfois majoritaires (archéologie, sécurité civile). Certains sont impliqués dans des cas de violations graves des droits humains commis lors des dernières années du conflit. Parmi eux, le commandant de l’armée Shavendra Silva ou le major général Kamal Gunaratne, nommé ministre de la Défense.

L’impunité au programme

En concentrant le pouvoir et en plaçant des hommes du passé à des postes-clés, Gotabaya Rajapaksa entend stopper toute velléité de faire la lumière sur le passé. Une commission présidentielle chargée d’enquêter sur les allégations de «victimisation politique» s’immisce dans des enquêtes de police et des procédures judiciaires, bloque de potentielles sanctions pénales, menace les agents investiguant sur les crimes de guerre.

En outre, le gouvernement surveille et harcèle les ONG et voix dissidentes en activant notamment une loi de lutte contre le terrorisme liberticide. La remilitarisation sur le terrain des régions à majorité tamoule du Nord et de l’Est, les pressions à l’égard des personnes rentrant aux pays ou soutenues financièrement par la diaspora à l’étranger, soumises à interrogatoire, sont autant de signes d’une régression inquiétante. Pour l’ONU, « la trajectoire actuelle du Sri Lanka prépare le terrain pour un retour aux politiques et pratiques qui ont donné lieu à de graves violations des droits humains ».

©UNHCR / G. Amarasinghe / October 2011

[1] Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, Promoting reconciliation, accountability and human rights in Sri Lanka, 9 février 2021.
[2] HRW, Open Wounds and Mounting Dangers, 1er février 2021.
[3] Just security, « When war criminals run the Government », Sondra Aton et Tyler Giannini, 16 mars 2021.
[4] Presidential Secretariat, President’s address to the nation on 18.11.2020, 18 novembre 2020.
[5] The Gazette of the Democratic Socialist Republic of Sri Lanka, Part 1 : section (I) – General, Government notifications, 10 décembre 2019, p. 2a.