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Notre regard

Aspects LGBTIQA+ de la pétition féministe européenne

Anis Kaiser
Membre de l’association Asile LGBTIQ+

En 2021, dans 11 pays du monde, les membres de la communauté LGBTIQA+ risquent la peine de mort. Dans 57 autres États, une peine de 8 à 10 ans de prison[1]Peine de mort effective ou possible : Somalie, Nigeria, Mauritanie, Arabie Saoudite, Yémen, Pakistan, Afghanistan, Iran, Jamaïque et dans les Caraïbes orientales. Voir : … Lire la suite. De manière générale, même si les orientations et identités ne sont pas criminalisées par la loi, les personnes sont souvent victimes, dans leurs quotidiens, de violences, de discriminations, d’inégalités et de persécutions et ne sont pas protégées contre de telles atteintes. Ne leur reste pour se protéger que la fuite.

Crédit Photo : Elena Orioli pour feministasylum

L’«OSIEG» ou plus spécifiquement «OSIEGCS» désigne l’orientation sexuelle, l’identité ou expression de genre, les caractéristiques sexuelles (aussi dites «caractéristiques biologiques») ainsi que les variations de caractéristiques biologiques ne correspondant pas aux catégories binaires mâles /femelles d’une personne. Sur la route migratoire, outre des violences liées à leur orientation sexuelle, identités et expressions de genre (OSIEG), elles sont, au même titre que les femmes et les filles exposées à des violences sexuelles, sexistes et à la traite des êtres humains.

Dans les pays d’arrivée, ces persécutions et discriminations persistent. La double appartenance à des profils stigmatisés (orientation sexuelle non hétérosexuelle, identité / expression de genre non conforme aux normes cisgenre masculin / féminin et le fait d’être une personne migrante) mène souvent à des conditions matérielles, légales et psychosociales défavorisées. De nombreux obstacles les empêchent de bénéficier d’un accès égalitaire aux droits et aux ressources, ce qui entrave la reconnaissance de leurs voix et leur besoin de protection. D’après nos observations, corroborées par nos collègues européen·nes, la majorité des personnes LGBTIQA+ en situation de migration forcée n’obtiennent pas une protection internationale car les procédures d’asile sont largement empruntes de biais hétéro-cis normés et d’une approche européocentrée.[2]Dans ce contexte : tendance à valoriser et à faire prévaloir la manière de penser et les représentations européenne quand à ce que des réalités de vies « LGBTIQA+ » pourraient être et à … Lire la suite

Souvent, les fonctionnaires en charge de mener les auditions remettent en question la vraisemblance et la crédibilité de l’OSIEG. Leurs analyses se fondent également sur des stéréotypes, dus, entre autres, à l’absence de connaissance et de formation spécifique sur ce sujet complexe. En atteste ces extraits de décisions : «Les descriptions que vous faites de votre quotidien à Dakar en tant que jeune homme gay ne correspondent pas à nos connaissances des manières de sociabiliser et de vivre à Dakar en tant qu’homosexuel.» Ou : «Ce n’est pas crédible qu’une personne dans un pays comme l’Iran où l’alcool est prohibé et l’homosexualité criminalisée prenne le double risque de se rendre à une réunion LGBTIQA+ secrète avec de l’alcool dans sa voiture.» Les demandes d’asile sont souvent rejetées pour invraisemblance, niant aux personnes les droits fondamentaux que sont l’autodétermination, la dignité et la liberté.[3]Cette approche va par ailleurs à l’encontre des lignes directrices internationales qui suggèrent que le principe du bénéfice du doute soit appliqué : HCR, Principes Directeurs sur la … Lire la suite

La pétition féministe européenne milite justement pour une reconnaissance effective des motifs d’asile propres aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTIQA+.[4]Nous tenons à souligner que les personnes en situation de migration forcée font face à des discriminations en lien avec leur orientation sexuelle et/ou identité/expression de genre basées sur la … Lire la suite La campagne lancée le 11 novembre 2021 a pour but d’obliger les États à faire respecter la Convention d’Istanbul dans les procédures d’asile et dans l’accueil des personnes migrantes ainsi que d’inclure spécifiquement les personnes LGBTIQA+ comme victimes de violences de genre au même titre que les femmes et filles.

Cette inclusion est primordiale et rejoint les précisions du rapport explicatif à la Convention qui préconise qu’une interprétation sensible au genre soit appliquée à chacun de ces motifs. En la ratifiant, la Suisse s’est engagée en faveur d’une obligation explicite de protection des victimes « sans discrimination aucune ». Cet engagement, s’il est mis en œuvre en respect des recommandations internationales, permettra de garantir enfin une meilleure reconnaissance du besoin de protection non seulement des femmes et des filles, mais aussi des personnes requérantes d’asile LGBTIQA+.

Lutter pour la reconnaissance des motifs de fuite spécifiques aux femmes, filles et personnes LGBTIQA+ ne doit pas nous amener à réduire ces appellations à un ou des groupes homogènes. Chaque individu a son histoire, origine, statut social ou autre. Les personnes migrantes sont confrontées dans leurs parcours à des discriminations spécifiques sur la base de la race, l’appartenance ethnique, la classe sociale, le niveau d’éducation, la religion, l’affiliation politique, la langue, la santé mentale et physique, etc. Les discriminations auxquelles elles doivent faire face varient et ne peuvent donc pas être généralisées.

Les stéréotypes touchant les communautés LGBTIQA+ traversent largement nos sociétés, encore marquées par une vision hétéro-cis-patriarcale, y compris dans les milieux progressistes. Sensibiliser à la complexité et à la multiplicité des réalités de vie des personnes en situation de migration forcée appartenant à des minorités sexuelles et de genre est un défi que nous devons et pouvons relever également auprès de mouvements qui nous sont proches. En contribuant à Feminist Asylum, nous participons à construire des ponts entre les luttes LGBTIQA+, féministes et antiracistes et à faire reconnaître les stratégies de résistances qui nous sont propres. Chacune d’entre elles se rejoint dans la défense des droits fondamentaux et des libertés tout en apprenant les unes des autres. Une reconnaissance mutuelle nécessaire, qui nous permet d’enrichir et de déployer notre pouvoir d’action. Nous allions donc nos forces dans le cadre de cette pétition.

Anis Kaiser

Lexique

La catégorie femme inclut tout individu qui s’identifie comme telle peu importe le sexe qui lui a été assigné à la naissance. La catégorie fille inclut tout individu qui s’identifie ou est perçue comme telle et qui est mineure. Évidemment femmes, filles et personnes LGBTIQA sont des catégories non délimitées : certaines femmes et filles sont membres de la communauté LGBTIQA+ et vice-versa !

LGBTIQA+ : lesbienne, gay, bisexuel·le , trans*, intersexe, queer, asexuel·le et +.

Cisgenre : Une personne dont l’identité de genre correspond aux attentes de la société en fonction du sexe qui lui a été assigné à la naissance ; une personne qui n’est pas transgenre ou non-binaire.

L’Hétéro-cis-normativité est le système normatif de comportements, de représentations et de discriminations favorisant et naturalisant l’hétérosexualité et les identités cisgenre.

Notes
Notes
1 Peine de mort effective ou possible : Somalie, Nigeria, Mauritanie, Arabie Saoudite, Yémen, Pakistan, Afghanistan, Iran, Jamaïque et dans les Caraïbes orientales. Voir : https://ilga.org/map-sexual-orientation-laws-december-2020
2 Dans ce contexte : tendance à valoriser et à faire prévaloir la manière de penser et les représentations européenne quand à ce que des réalités de vies « LGBTIQA+ » pourraient être et à étendre ces représentations à d’autres cultures
3 Cette approche va par ailleurs à l’encontre des lignes directrices internationales qui suggèrent que le principe du bénéfice du doute soit appliqué : HCR, Principes Directeurs sur la protection internationale n°9, para 63.i, p. 15
4 Nous tenons à souligner que les personnes en situation de migration forcée font face à des discriminations en lien avec leur orientation sexuelle et/ou identité/expression de genre basées sur la perception sociale et l’auto-identification