Aller au contenu
Notre regard

Permis S | Vers une meilleure protection pour tou·tes ?

Les milieux de défense des droits des personnes migrantes ne peuvent que se réjouir de l’élan de générosité pour un accueil inconditionnel des réfugié·es ukrainien·nes initié par la Confédération et largement soutenu par la population résidente en Suisse. Sentiment ambivalent tout de même car les mesures dont ces personnes bénéficient aujourd’hui sont demandées de longue date pour l’entier des personnes en quête de refuge et fuyant d’autres conflits. De même, si le statut octroyé facilite l’accès à différents domaines tels que le logement, le travail, la liberté de mouvement et le regroupement familial, des questions se posent sur sa durabilité.

Initialement publié le 18 mars 2022, cet article a été mis à jour et complété le 04/04/21 pour publication dans la revue Vivre Ensemble

Entente européenne, hors Dublin
La protection provisoire, ou permis S, est inscrite dans la loi sur l’asile (LAsi) depuis 1998, en réponse aux problématiques rencontrées en Suisse face à l’arrivée de personnes fuyant la guerre en ex-Yougoslavie. Elle vise à répondre à une situation d’urgence et à offrir une protection provisoire collective à une population déterminée, de manière non bureaucratique. Sur décision du Conseil fédéral, elle a été activée pour la première fois le 12 mars 2022 afin de permettre un large accueil aux ressortissant·es ukrainien·nes (et personnes au bénéfice d’un permis stable en Ukraine et ne pouvant pas rentrer de manière sûre et durable dans leur pays d’origine). La mise en œuvre du permis S a été calquée sur les dispositions de la Directive européenne du 4 mars 2022 pour l’octroi d’une protection provisoire. Les droits et devoirs relatifs y sont très similaires. Cette Directive s’applique dans tous les pays européens [1]Le Danemark a choisi de faire cavalier seul. European Council on Refugees and Exiles (ECRE), Information Sheet – Measures in response to the arrival of displaced people fleeing the war in Ukraine, … Lire la suite, sauf les pays associés à Schengen soit la Suisse, le Liechtenstein, l’Islande et la Norvège. N’impliquant pas le dépôt d’une demande d’asile ordinaire, elle échappe au règlement Dublin, qui prévoit que le premier pays d’accueil soit responsable de la procédure d’asile. Elle offre ainsi la liberté de choisir dans quel pays chercher refuge en Europe. En revanche, en cas de procédure d’asile ordinaire, Dublin pourrait théoriquement s’appliquer.

Etienne Girardet Unsplash

Des droits exceptionnels pour des motifs de fuite similaires à d’autres.
En Suisse, grâce à l’octroi du statut de protection S, les personnes fuyant l’Ukraine actuellement ont la possibilité de se loger là où se trouvent leurs connaissances ou familles; le droit de travailler dès l’arrivée en Suisse; la permission de se déplacer hors de Suisse dans tout l’espace Schengen; l’accès immédiat au regroupement familial, sans considération pour les années passées en Suisse ou l’indépendance financière et à la scolarisation dans des classes au sein des cantons. On ne peut s’empêcher de comparer les droits octroyés aux titulaires du permis S à ceux définis par l’admission provisoire (permis F). Un statut généralement délivré aux personnes fuyant les conflits et les guerres comme l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie. Le permis F restreint en effet un certain nombre de droits fondamentaux liés à la liberté de mouvement et l’accès à une vie familiale. Ainsi l’interdiction de sortir de Suisse, sauf exception, l’impossibilité de faire venir leurs proches (famille nucléaire) avant trois ans d’admission provisoire et tant qu’elles n’ont pas de situation financière stable et de logement adéquat et l’attribution à un canton indépendamment de la présence de proches déjà installé dans une région. Ces réfugié·es de la guerre qui n’obtiennent qu’une admission provisoire sont passées par une procédure d’asile impliquant des longs entretiens éprouvants, une attente prolongeant l’incertitude du séjour, la promiscuité des centres collectifs. Elles sont nombreuses à dénoncer leur statut jugé handicapant pour une réelle intégration en Suisse.

Alors, bien entendu, l’écart dans le traitement de ces différentes catégories de population est difficilement compréhensible. La discrimination de fait est injuste pour les personnes qui ont fui les mêmes menaces que les Ukrainien·nes. Les rancœurs entre nationalités risquent d’émerger et de créer de lourdes tensions. Au sein même des populations fuyant l’Ukraine, l’accueil inconditionnel donnant accès au permis S concerne uniquement les citoyen·nes et personnes dont le retour dans leur pays d’origine n’est pas considéré comme sûr par les autorités. Les autres pourraient déposer une demande d’asile ordinaire.


Un avenir en Suisse incertain
Pour les détenteur·trices d’un permis S l’installation en Suisse, la situation sur le long terme est floue. Le SEM le précise: «Le statut de protection S est un statut orienté sur le retour». Or, parallèlement, un accès au pré-apprentissage d’intégration est donné au motif que ces «personnes auront vraisemblablement besoin de la protection de la Suisse pendant une longue période. »
Une ambiguïté qui se retrouve dans la Loi sur l’asile (LAsi). Celle-ci mentionne la possibilité de prorogation annuelle de ce permis S, l’obtention automatique d’un permis B après cinq ans de séjour, mais aussi la possible perte de ce permis B en cas de « levée de la protection provisoire» (art 74, al.2). Elle consacre néanmoins le droit d’être entendu qui permet– si des motifs de persécution sont évoqués– d’entamer une procédure d’asile (art 76,al.3). En cas de recours, les Ukrainien·nes pourront probablement se prévaloir le cas échéant d’une « bonne intégration », si l’on en croit la volonté politique affichée de leur permettre de s’insérer rapidement sur le marché de l’emploi. Dans ce contexte, le permis S s’apparente davantage à l’admission provisoire, qui peut également être levée en cas de changement de situation dans le pays d’origine. Le permis B réfugié, lui, fondé sur des circonstances de persécution individuelles, ne peut être révoqué de manière collective. Il est plus stable et à privilégier pour toute personne pouvant se prévaloir de motifs d’asile.
Dans ce contexte, le permis S s’apparente davantage à l’admission provisoire, qui peut également être levée en cas de changement de situation dans le pays d’origine. Le permis B réfugié, lui, fondé sur des circonstances de persécution individuelles, ne peut être révoqué de manière collective. Il est plus stable et à privilégier pour toute personne pouvant se prévaloir de motifs d’asile.

Loin d’exiger un nivellement des droits par le bas, les voix de défense des personnes migrantes qui se font entendre souhaitent que soit reconnue la possibilité de l’extension de ce modèle généreux et inclusif à toute personne en quête de refuge. Car dans la mise en concurrence des misères, rares sont les personnes qui en sortent gagnantes. L’extension des mêmes droits à toutes et tous serait un instrument de lutte essentiel contre la précarité. Et un soutien fort à la cohésion sociale fragilisée par l’érosion structurelle de la solidarité.

Giada de Coulon

Tableau comparatif des droits octroyés par le permis S et le permis F

Droits octroyés par le permis S*Droits octroyés par le permis F (admission provisoire) 
Regroupement familial immédiat, y compris partenariat enregistréRegroupement familial possible après 3 ans de permisF (famille nucléaire et enfants mineurs). Conditions: être autonome financièrement, disposer d’un logement adéquat, faire preuve d’une bonne intégration (langue)
Droit de voyager dans l’espace Schengen et de revenir sans autorisation. Risque de perte du permis si les personnes séjournent longtemps ou de manière répétée dans leur pays d’origine.Sortie de Suisse interdite. Après 3 ans de permis F, sur autorisation pour motifs particuliers et à condition d’être financièrement autonome. Interdiction de voyage dans le pays d’origine.  
Possibilité de demander un canton d’attribution selon les liens sociaux/professionnels qui s’y trouventPas de choix du canton d’attribution. Demande de changement de canton possible si emploi dans un autre canton.  
Droit de travailler immédiat. Autorisation préalable exigée  Droit de travailler dans toute la Suisse, simple annonce en ligne  
Pas d’accès aux prestations de l’Agenda intégration suisse (AIS)  Accès aux prestations de l’AIS  
Si le statut n’est pas levé au bout de cinq ans, octroi automatique d’une autorisation de séjour (permis B). Si le statut n’est pas supprimé au bout de dix ans, octroi du permis C.  Possibilité de demander un permis B après 5 ans, sous réserve de conditions (intégration et indépen-dance de l’aide sociale notamment) et de la double acceptation du canton et de la Confédération.  
Possibilité de levée de la protection provisoire pendant 10 ans s’il y a des changements dans le pays d’origine Possibilité de levée de la protection provisoire s’il y a des changements dans le pays d’originePossibilité de levée de la protection provisoire s’il y a des changements dans le pays d’origine  

Pour les deux: Scolarité obligatoire garantie, accès à la formation professionnelle et au Programme de préapprentissage d’intégration (PAI), accès à des cours de langue. Aide sociale restreinte. Affiliation à l’assurance maladie.

* Information au 04/04/2022. A cette date, la question du financement des mesures d’intégration n’avaient pas été tranchées.

L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!

Notes
Notes
1 Le Danemark a choisi de faire cavalier seul. European Council on Refugees and Exiles (ECRE), Information Sheet – Measures in response to the arrival of displaced people fleeing the war in Ukraine, mars 2022.