Unisanté | Constat alarmant sur la santé mentale dans les CFA
Suite à deux suicides survenus en 2019 et 2020 dans le centre d’enregistrement et de procédures d’asile de Boudry, une équipe de spécialistes du CHUV et d’Unisanté a été mandatée par le SEM pour évaluer « les processus en vigueur quant à la prise en charge en santé mentale des requérant.es d’asile dans les centres fédéraux d’asile romands »[1]« Prévention du suicide dans les centres fédéraux pour requérants d’asile de la région Suisse romande », Rapport du consortium de recherche Unisanté – DP – CHUV, décembre … Lire la suite. Rendu en fin d’année 2021, le travail a été mis en ligne par le SEM en mai dernier seulement, comme l’a révélé un article de la RTS qui en résume les conclusions principales. Et celles-ci sont alarmantes : entre 1 à 4 tentatives de suicide ou d’automutilation chaque semaine dans les CFA de Boudry, Vallorbe et Giffers ; du personnel qui présente « un risque élevé de burnout et de fatigue de la compassion » ; un manque crucial de personnel soignant diplômé (à Boudry, par exemple, on dénombre 12 personnes dans l’équipe sanitaire contre 130 pour la sécurité) ; une procédure de prise en charge très longue qui engendre des retards importants dans la mise en place d’un traitement adéquat ; etc. Nous publions ci-dessous le rapport, également téléchargeable depuis le site du SEM. À sa suite, nous partageons la réaction du collectif Migrant Solidarity Network, qui adresse une série de questions au SEM sur la base des conclusions du rapport.
Réaction de Migrant Solidarity Network[2]texte original traduit de l’allemand par Vivre Ensemble
« Il faut partir du principe que l’isolement et la restriction de liberté organisés par le SEM dans les CFA, le travail et la violence des entreprises qui font du profit par « l’encadrement » et la « sécurité », ainsi que la dureté de la législation sur l’asile sont complices de cette situation. »
Migrant Solidarity Network
1 à 4 tentatives de suicide par semaine par CFA : le SEM joue-t-il avec son devoir d’assistance et de protection du droit à la vie?
Les chiffres sont alarmants et scandaleux. Rien qu’au centre fédéral d’asile (CFA) de Boudry, au moins deux personnes se sont suicidées. Selon une étude d’UNISANTÉ/CHUV commandée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), les BAZ de Boudry, Vallorbe et Giffers enregistrent chaque semaine entre 1 et 4 tentatives de suicide/d’automutilation. « Manifestement, le SEM ne fait pas assez d’efforts pour protéger suffisamment le droit à la vie dans ces centres d’accueil », critique Migrant Solidarity Network, qui demande au SEM des chiffres et des explications sur la situation dans les autres régions d’asile de Suisse.
Le droit à la vie des personnes réfugiées demandeuses d’asile est menacé dans les CFA
Dans les CFA, l’État limite fortement les libertés des personnes en fuite. Les droits concernés sont par exemple la liberté de mouvement, la vie privée, les contacts sociaux et la vie de famille. L’accès à des soins de santé corrects est également plus difficile et parfois impossible. Ces restrictions ont des conséquences négatives sur le droit à la vie des demandeurs d’asile concernés. Le droit à la vie, qui comprend également l’intégrité physique et mentale, est ancré dans l’article 10 de la Constitution fédérale, dans l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et dans l’article 6 du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l’ONU). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également étendu le champ d’application aux cas où une personne subit des blessures mettant sa vie en danger (voir l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal).
Devoir d’assistance et de protection : plus l’État limite les libertés dans les CFA, plus il est responsable de la vie et de l’intégrité physique des résidents des CFA.
Le devoir d’assistance et de protection du droit à la vie implique tout d’abord qu’un traitement médical optimal soit garanti à titre préventif. Compte tenu des restrictions de liberté, les soins de santé doivent même, dans certaines circonstances, être meilleurs que ceux dont bénéficie la population plus libre en dehors des centres de détention. Deuxièmement, les problèmes doivent être correctement analysés, combattus et résolus. Les décès par suicide, mais aussi les tentatives de suicide et les automutilations, doivent faire l’objet d’une enquête minutieuse et complète par un organisme externe indépendant. Les conditions doivent être modifiées afin d’éviter des décès ou des tentatives de suicide/d’automutilation similaires. Le protocole du Minnesota montre ce qu’une telle enquête implique. Selon les résultats, des procès pénaux contre les responsables sont également indiqués.
Migrant Solidarity Network a adressé les questions suivantes au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) :
- Combien de suicides y a-t-il eu dans toute la Suisse et par centre de détention depuis leur mise en service ?
- L’étude mentionnée a examiné les tentatives de suicide/les automutilations dans les centres d’accueil de Boudry, Vallorbe et Giffers, qui se sont produites entre le 01.01.2021 et le 30.09.2021. Combien de tentatives de suicide/d’automutilation y a-t-il eu au total par centre d’accueil dans les autres régions d’asile pendant la même période ?
- Dans combien de cas les suicides et les tentatives de suicide/autodestruction ont-ils fait l’objet d’une enquête pénale/policière ?
- Dans combien de cas les suicides et les tentatives de suicide/autodestruction ont-ils fait l’objet d’une enquête par un organisme externe indépendant (par exemple sur la base du protocole du Minnesota) ?
- Quels ont été les résultats des éventuelles enquêtes sur les causes ?
- Quelles mesures ont été prises jusqu’à présent pour remédier aux causes des suicides et des tentatives de suicide/autodestruction dans les CEP afin d’éviter de nouveaux cas ?
- Comment le SEM entre-t-il en contact avec les proches des personnes concernées ?
- Comment le SEM procède-t-il en cas de décès, tant du point de vue juridique que du point de vue du corps des personnes ?
Notes
↑1 | « Prévention du suicide dans les centres fédéraux pour requérants d’asile de la région Suisse romande », Rapport du consortium de recherche Unisanté – DP – CHUV, décembre 2021 |
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↑2 | texte original traduit de l’allemand par Vivre Ensemble |