Vardan Alaverdyan, étudiant en quête d’avenir
Najma Hussein, avec la collaboration de Giada de Coulon
26 avril 2022. En cette fin d’après-midi ensoleillé, les étudiant·es de la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) se pressent pour sortir du campus. Parmi la foule, nous retrouvons Vardan Alaverdyan. Il vient de terminer son dernier cours de la journée et a accepté de nous rencontrer pour nous partager son témoignage. Très peu de personnes savent que cela fait presque 8 ans qu’il est à l’aide d’urgence suite au rejet de sa demande d’asile. Nous échangeons brièvement puis partons à la recherche d’une salle de cours libre pour mener notre interview.
Originaire d’Arménie, Vardan fuit son pays natal suite aux répressions à l’encontre de sa famille. Il est âgé de 17 ans lorsqu’il arrive seul en Suisse pour déposer une demande d’asile. Avide de s’intégrer rapidement dans son nouveau pays d’accueil, il souhaite apprendre une langue nationale, le français. Pour ce faire, il insiste pour être intégré à l’Organisme pour le perfectionnement scolaire, la transition et l’insertion professionnelle (OPTI), un établissement qui vise à aider les jeunes à trouver leur place dans le monde du travail. Déterminé, il réussit un stage qui lui ouvre les portes de la maturité spécialisée. Il l’obtient avec succès quelques années plus tard au gymnase de Renens. Intéressé par le domaine du tourisme, il apprend l’italien et part à Lugano pour un séjour linguistique.
Entre-temps, sa procédure d’asile connaît plusieurs aléas. Il reçoit une décision négative à sa demande de protection lors de sa première année de gymnase. Malgré cela, il ne lâche pas les études. Il intègre la HEIG-VD où il entreprend le cursus d’ingénierie des médias.
Tributaire de l’aide d’urgence, Vardan se débrouille pour obtenir le soutien d’une fondation qui lui paye les frais d’écolage. Ancien résidant du foyer d’Ecublens, il nous décrit les conditions de vie difficiles qu’il a connues, notamment l’absence d’espace personnel, les bruits ainsi que le manque d’hygiène. Vardan nous explique qu’étudier dans l’espace commun du foyer n’était pas une solution, car il était souvent occupé par des familles avec des enfants en bas âge, des adultes entre qui des bagarres survenaient fréquemment. C’est plus tard qu’il découvre et fréquente le Rolex Learning Center, une bibliothèque située à Lausanne, où il peut se fondre dans la masse estudiantine et réviser ses cours. Mais la cohabitation au foyer dégrade son état psychologique. Il lui faudra l’appui de sa psychothérapeute pour obtenir de son assistante sociale un logement individuel.
Vardan
« Lorsqu’on est à l’aide d’urgence, on le cache »
Vardan nous confie qu’il trouve difficile de partager autour de lui son expérience à l’aide d’urgence. Il ne souhaite pas être différent du reste de la société en portant l’étiquette « aide d’urgence ». Selon lui, il serait mal jugé et mal compris. Un sentiment de honte que partagent beaucoup de gens vivant dans cette situation, lié à l’image façonnée par la société des personnes déboutées.
Un évènement le poussera à sortir de son silence: le refus du canton de Vaud, pour la deuxième fois, de soutenir sa demande de régularisation fondée sur l’art. 14 al. 2 LAsi. Lors de sa première démarche, on lui avait signifié que selon la loi, il fallait attendre cinq ans pour prétendre à une stabilisation du séjour. Un critère s’ajoutant à une intégration « poussée ». Il était donc sûr de sa légitimité. Il vit donc ce deuxième rejet comme un choc et ressent le besoin de l’extérioriser.
Il décide d’écrire un message à ses ami·es de la HEIG en leur expliquant sa situation personnelle. Ils et elles ont été nombreux·euses à réagir et à lui faire part de leur soutien. Vardan dit se sentir moins seul depuis qu’il a rendu public son statut. Certain·es se mobilisent et lui apportent leur aide. Le jeune étudiant nous cite la fois où il a eu besoin de consulter un·e avocat·e. Les frais d’honoraires étaient trop élevés pour lui. Ses ami·es se sont cotisé·es pour financer une heure de consultation. Il raconte à quel point son entourage, principalement com- posé d’étudiant·es de la HEIG, est devenu important pour lui. Vardan a passé un accord avec le Service vaudois de la population (SPOP) lui permettant de rester en Suisse pendant la durée de ses études. Depuis le deuxième rejet de sa demande de régularisation, l’accord n’a pas été reconduit. Le renouvellement fréquent de son aide d’urgence au SPOP à Lausanne engendre pour Vardan un très grand stress et l’oblige à des absences fréquentes de l’école. Les études ont une importance particulière pour lui. Elles représentent à ses yeux son unique chance de construire sa vie dans le pays. Plus tard, il se voit travailler en Suisse dans l’ingénierie des médias, si possible en lien avec le tourisme tel qu’il le rêvait.
Malgré un parcours rempli d’embûches, il continue de persévérer. Son français impeccable, une intégration exemplaire, rien ne le distingue des autres étudiant·es. Lorsque nous lui demandons ce que représenterait une régularisation pour lui, il ne peut réprimer un sourire. « Ce serait quelque chose d’incroyable pour moi. Je crois que je n’arriverais pas à y croire. Cela me paraît si proche et en même temps hors d’atteinte ». Vardan a en effet appris par la suite que pour les personnes célibataires comme lui, la durée de séjour exigée pour prétendre à une régularisation était d’environ 10 ans. Une pratique des autorités plus qu’un critère inscrit dans la loi, laquelle évoque un séjour d’« au moins 5 ans » depuis le dépôt de la demande d’asile (art. 14 al.2 Loi sur l’asile).
À l’instar de Vardan, de nombreuses personnes arrivées mineures en Suisse s’efforcent de remplir toutes les cases exigées pour la stabilisation de leur séjour avec en tête cette échéance des 5 ans sans savoir qu’elles feront face à un mur. Un état de fait qui crée une grande confusion chez elles, et souvent un grand découragement.
L’article 14 al.2
La demande de régularisation pour cas de rigueur en vertu de l’article 14 al.2 de la Loi sur l’asile (LAsi) visant à l’obtention d’un permis B humanitaire est une démarche à bien plaire du canton d’attribution. Si celui-ci décide de ne pas adresser la demande auprès du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) à Berne, il n’y a aucune voie de recours à dis- position des personnes concernées. Alors que si c’est le SEM qui rejette la demande, la personne concernée peut faire recours. De nombreuses personnes, et notamment des jeunes, sont ainsi impuissantes à faire valoir leur cas. À Genève, une campagne de la Coordination asile.ge est en cours. Elle demande aux autorités cantonales d’agir pour que les dossiers d’une soixantaine de jeunes débouté·es soient adressés à Berne.
(Vivre Ensemble, n° 183, 186 et 187)