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Notre regard

« Quand on ne t’accepte pas dans un système, tu dois créer ton propre système »

Propos recueillis par Louise Wehrli

« Sagesse dynamique »: transposé en français, le nom du collectif et du film d’Élise Shubs, Dynamic Wisdom, reflète bien ce que l’écran nous dévoile : un mode de fonctionnement démocratique institué par ces hommes afin de pouvoir cohabiter dans un espace très restreint et spartiate. Ce toit, ils l’apprécient à sa juste valeur, puisqu’il leur a permis de sortir de la rue et des hébergements d’urgence qu’ils ont longtemps fréquentés. Je discute avec Aguero, le chairman actuel de Dynamic Wisdom. Chairman, c’est le rôle de président élu pour une année aux côtés des autres membres du comité. Les membres du collectif vivent depuis l’année passée dans une nouvelle maison, toujours proche de Lausanne et cette fois, avec un contrat de confiance de 5 ans. La maison est en bien meilleur état que la précédente.

Image extraite du documentaire « Dynamic Wisdom »

«Je suis le plus jeune de la maison et ce n’est pas toujours facile de faire régner le calme ni de faire respecter les règles que nous nous sommes fixées. Cette maison est la chose la plus importante que nous avons et on fait tout pour que cela puisse durer le plus possible. Elle nous permet d’échapper à la rue et toutes les difficultés qu’elle comporte. On y vit à 16 en ce moment.

Pour éviter les conflits, il y a des règles strictes : pas de visiteurs admis, pas d’entrée après 00h30, participation obligatoire à notre réunion du dimanche et contribution financière aux achats nécessaires à la maison. Pour nous protéger, on doit aussi rester les plus discrets possible. On ne communique donc pas sur notre existence vers l’extérieur.
Lors des séances de projection, le public nous pose beaucoup de questions sur l’origine de notre collectif et notre organisation. Il veut aussi savoir comment on gagne notre vie ou comment on vit les contrôles policiers constants qu’on subit en tant qu’hommes noirs. Il y a beaucoup de curiosité. C’est parfois difficile pour moi de regarder le film au milieu du public. Je me sens mal à l’aise de montrer les conditions dans lesquelles nous vivions: la saleté, le mauvais état de la maison, etc. Mais je suis aussi fier de ce que nous avons fait, de pouvoir ainsi laisser une trace visuelle de notre histoire.

D’une blague, le film est devenu une chose sérieuse. Il raconte notre vie, les difficultés que nous traversons et nos combats au quotidien. Lorsqu’on nous croise dans la rue, la population nous voit souvent que comme des «bad guys» alors que nous sommes tout autre chose. On espère qu’après avoir vu Dynamic Wisdom, ce regard porté sur nous changera. La plupart des gens ne savent pas quelle est vraiment notre vie. À travers ce film, on aimerait inviter le public à s’intéresser à l’histoire des personnes qui vivent à côté d’eux et qu’ils ne côtoient jamais. Et à les soutenir si elles en ont besoin».