Témoignage | Ni réfugié, ni Suisse. Toutes les portes sont fermées
Juliette de Montmollin
Abdul Shokor Ghafori est arrivé en 2015 d’Afghanistan, seul, âgé de 15 ans. Il demande l’asile en Suisse et obtient un permis F. Passionné de taekwondo, il pratique ce sport à haut niveau et réussit à intégrer le cadre national suisse de taekwondo en 2016. Il est à ce moment-là le seul genevois et le seul titulaire de permis F dans l’équipe nationale suisse. Pendant 7 ans, Abdul Shokor s’entraîne et concourt aux couleurs de la Suisse, pour laquelle il remporte de nombreux titres.
Mais en 2022, la situation se complique: la Fédération nationale de taekwondo exige désormais un passeport suisse pour faire partie de l’équipe nationale. Abdul Shokor a obtenu un permis B en 2022, mais avec la nouvelle loi, il ne peut déposer sa demande de naturalisation et est ainsi exclu de l’équipe nationale. C’est alors toute une série de portes qui se ferment: les sponsors s’arrêtent, les soutiens de la fédération de taekwondo, de la Ville de Genève et du Canton aussi. En parallèle, il commence des études dans une université privée, option «Sport & Management». Mais là encore, le soutien de l’Hospice général s’arrête, car le fait d’étudier dans une université privée ne lui permet plus de toucher l’aide sociale. Il se retrouve alors sans aide ni soutien financier pour ses études et prestations. Une fondation privée lui accorde heureusement une bourse en 2024 pour lui permettre de vivre, mais aussi de financer ses dépenses liées à sa pratique sportive, qui représentent un budget d’environ CHF 20 000.- par année.
S’il ne représente plus l’équipe nationale, Abdul Shokor continue de concourir en tant qu’athlète professionnel indépendant au nom de son club genevois. Son niveau sportif n’a pas baissé, bien au contraire: il continue de rapporter des médailles à la Suisse et figure premier du classement dans la catégorie élite des moins de 58 kg.
«Parfois, je me demande ce qu’il me reste à accomplir pour obtenir la nationalité suisse, étant donné que je m’intègre le mieux possible, que je suis un sportif d’élite, que je rapporte des médailles internationales à la Suisse et que je fais briller le drapeau rouge et blanc. Ce que je souhaite, c’est que ma voix soit entendue en Suisse, pour que l’on puisse changer les choses et redonner espoir et courage à celles et ceux qui, comme moi, veulent réussir». N’ayant pas le statut de réfugié, Abdul Shokor ne peut pas non plus entrer dans l’équipe olympique des réfugiés pour participer aux Jeux olympiques, bien que cela soit son rêve. 9 ans après être arrivé, il regrette parfois de ne pas être allé demander l’asile dans un autre pays, là où les possibilités de naturalisation seraient plus faciles et où il pourrait pratiquer son sport sans autant d’embûches.
Initiative pour la démocratie
L’initiative populaire fédérale «Pour un droit de la nationalité moderne», ou «initiative pour la démocratie», a pour objectif d’inscrire dans la Constitution (Art. 38, al. 2) des critères du droit à la nationalité plus équitables. Depuis le durcissement de la loi sur la nationalité suisse (LN) en 2018, l’accès à la nationalité suisse n’est possible que pour les titulaires d’un permis C résidant·es en Suisse depuis au moins 10 ans. Les conséquences sur l’intégration des personnes issues de l’asile sont importantes, surtout pour les jeunes. Retrouvez notre article sur la naturalisation des jeunes issu·es de l’asile.
L’initiative vise donc à englober toute personne qui :
- qui séjourne légalement en Suisse depuis cinq ans;
- qui n’a pas été condamné·e à une peine privative de liberté de longue durée;
- qui ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse;
- qui possède des connaissances de base dans une langue nationale.
Le délais pour la récolte des signatures est fixé au 23.11.2024. Plus d’informations ici : https://democratie-initiative.ch/
A propos de la naturalisation : le parcours de combattant·es des jeunes issu·es de l’asile
Sur le chemin de l’acquisition de la nationalité suisse, nombreux sont les obstacles. La loi sur la nationalité suisse (N) est d’ailleurs l’une des plus restrictives d’Europe. Parmi les différentes trajectoires migratoires concernées, les jeunes né·es ou arrivé·es enfants en Suisse – et dépendant·es de la situation administrative de leurs parents – sont les plus touché·es par cette exclusion de la nationalité et des droits et garanties que le passeport octroie.
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