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Notre regard

L’exploitation économique des personnes migrantes en Italie. Un drame humain trop banalisé

Kebei Raimatou Sih | rédactrice Voix d’Exils

L’Italie est un point d’entrée majeur pour de nombreuses personnes en quête de protection ou de meilleures conditions de vie. En augmentation depuis plusieurs années leur vulnérabilité les rend cependant victimes d’exploitation, économique ou sexuelle. Bloquées dans l’attente d’une décision sur leur demande de protection, d’une régularisation, ou simplement en transit, elles se retrouvent parfois prises au piège, subissant des abus dans divers secteurs tels que l’agriculture, la construction, les services et la prostitution.L’Italie, avec ses côtes méridionales proches de la Libye et de la Tunisie, est le point d’arrivée de milliers de personnes migrantes qui fuient chaque année la guerre, la pauvreté et les persécutions. Ces personnes, majoritairement originaires d’Afrique et du Moyen-Orient, espèrent trouver un avenir meilleur en Europe. Cependant, une fois sur le sol italien, leurs espoirs se heurtent souvent à la dure réalité de l’exploitation économique. Cette situation met en lumière l’urgence de réformes des politiques migratoires afin de protéger les droits fondamentaux de ces populations vulnérables.

Les formes d’exploitation des personnes migrantes

Stirpivm insignium nobilitatis, tum etiam sodalium, Bibliothèque royale, Wikimedia Commons.

L’agriculture et la construction. L’agriculture italienne dans le sud du pays (Calabre, Sicile, Pouilles) est souvent présentée comme un modèle de tradition et de qualité. Or, cette activité économique repose largement sur l’exploitation de la main-d’œuvre migrante. Chaque année, des milliers de travailleurs et travailleuses migrant·es sont attiré·es par la promesse d’un emploi dans les champs. Souvent en situation irrégulière, ils et elles subissent fréquemment des conditions de travail déplorables : astreint·es à des horaires extensibles, parfois jusqu’à 12 heures par jour indépendamment des conditions météorologiques, et ce, pour gagner des salaires misérables.

Plusieurs ONG documentent cette situation depuis plusieurs années. Médecins sans frontières[1]informationsetcommentaires.com, «En Italie, les migrants africains surexploités se révoltent», Duflot Jean ; Ollivier Marc, 10.2010. (MSF) révélait déjà en 2010 dans un rapport l’exploitation sauvage et les conditions de vie des personnes migrantes dans les secteurs de l’agriculture dans plusieurs régions du sud de l’Italie.

Une enquête menée en 2022 par Amnesty International[2]Amnesty International, «Italie – Rapport Annuel 2022», 03.2023. met en lumière des abus généralisés dans des secteurs d’emploi peu réglementés, comme l’agriculture, la construction et le secteur des services. Dans son ouvrage Oranges amères paru en 2023, l’anthropologue Gilles Reckinger documente le cas de la récolte des agrumes à Lampedusa et en Calabre, où les personnes se retrouvent «à la merci d’employeurs sans scrupules et des réseaux mafieux, alors que l’État ferme les yeux»[3]Gilles Reckinger, Oranges amères, Éditions Raisons d’agir, Paris, 04.2023..

Exploitation sexuelle et traite d’êtres humains

Dans une vidéo percutante publiée sur On the Road[4]On the Road, «Prostitutes in Italy : how the trafficking of women into prostitution works», Saverio Tommasi, 5.2022., le reportage du journaliste et documentariste Saverio Tommasi met un accent particulier sur le traitement brutal que subissent les femmes prostituées. «Je me tiendrai sur la route et tout homme qui s’arrêtera, je le suivrai et je ferai tout ce que l’homme me demande de faire», un témoignage d’une victime.

Le reportage va au-delà de la simple dénonciation du système de la prostitution en Italie. Il expose les injustices profondes, l’exploitation systématique des femmes et les lacunes de la législation, tout en mettant en lumière les efforts pour mettre fin à ce cycle de souffrance. À travers des interviews poignantes et une analyse critique, Saverio Tommasi nous pousse à réfléchir sur la manière dont la société traite ces femmes, et sur les solutions possibles pour les aider à sortir de cette spirale infernale.

Ce reportage est un appel à l’action, une invitation à repenser les politiques publiques et à soutenir les initiatives qui visent à protéger les femmes et à mettre fin à l’exploitation sexuelle.

L’Italie, un cas parmi d’autres

Image prétexte : DeiFratelliTomatoes

Les facteurs contribuant à l’exploitation. Les politiques migratoires restrictives : L’absence de voies légales pour la migration extra-européenne et le manque de solidarité intra-européenne induisent une capacité limitée des pays aux frontières de l’Europe, souvent les plus pauvres, d’accueillir dignement les personnes en exil.

L’absence de statut juridique. La plupart des personnes exilées en transit n’ont pas de statut légal dans ces pays, ce qui les prive de protection juridique. Sans documents officiels, elles n’ont ni accès aux services publics essentiels, ni la possibilité de recourir en cas de violations de leurs droits. Cela rend plus difficile la dénonciation des abus et renforce leur isolement et leur marginalisation.

Des conditions économiques et politiques précaires. Les pays de transit sont souvent eux-mêmes confrontés à des crises économiques ou politiques, limitant leur capacité à offrir des opportunités aux personnes migrantes ou à assurer leur sécurité. Ils n’ont parfois pas de protection ou de couverture sociale pour leurs ressortissant·es, comptant sur une solidarité familiale pour couvrir les besoins en cas de chômage, vieillesse ou maladie. Cette situation contribue à l’instabilité et renforce leur dépendance envers des acteurs non étatiques pour subvenir à leurs besoins, ce qui crée ainsi un terreau fertile pour l’exploitation.

L’exploitation des personnes migrantes dans les pays de transit est un phénomène complexe qui nécessite une réponse internationale pluridimensionnelle. Il est impératif que les États, les institutions internationales et les ONG travaillent ensemble pour renforcer la protection des personnes migrantes, car leur exploitation a des conséquences profondes sur leur santé mentale et physique. L’épuisement dû au travail forcé, les traumatismes liés aux abus sexuels et la peur constante d’être arrêté ou expulsé affectent leur bien-être à long terme.

A propos de la revue

Cet article est paru dans le 200e numéro de notre revue d’information sur l’asile et les migrations. A cette occasion, nous avons voulu proposer une édition spéciale, sortant de notre habituelle démarche éditoriale. C’est ainsi que le contenu de cette revue a été entièrement rédigé et illustré par des personnes réfugiées.

Pour en apprendre plus sur la démarche, le processus et les perspectives qui s’ouvrent pour la suite, nous vous renvoyons vers le making-off de ce numéro spécial. Bonne lecture!

Notes
Notes
1 informationsetcommentaires.com, «En Italie, les migrants africains surexploités se révoltent», Duflot Jean ; Ollivier Marc, 10.2010.
2 Amnesty International, «Italie – Rapport Annuel 2022», 03.2023.
3 Gilles Reckinger, Oranges amères, Éditions Raisons d’agir, Paris, 04.2023.
4 On the Road, «Prostitutes in Italy : how the trafficking of women into prostitution works», Saverio Tommasi, 5.2022.