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Notre regard

Turquie | Les réfugié·es syrien·nes, pions de la politique d’Ankara

Zelal Karatas

INGÉRENCE STRATÉGIQUE · «Nous ferons la prière dans la mosquée des Omeyyades[1]La grande mosquée des Omeyyades de Damas est l’une des plus anciennes et des mieux conservées au monde. Elle a une signification religieuse importante, en particulier dans le clivage … Lire la suite».Par cette déclaration, prononcée en 2012 au début de la guerre civile en Syrie Alors qu’il était Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan manifestait déjà les velléités d’ingérence du gouvernement turc dans la crise syrienne. Une politique étrangère qui n’a jamais cessé. Avec des implications sur le plan militaire, même si le soutien d’Erdogan aux groupes armés en Syrie a longtemps été nié. Jusqu’à ce qu’un célèbre journaliste, Can Dündar[2]Dündar C., How Turkey pursues dissident exiles like me all over the world, The Washington Post, 23.01.2023., publie un rapport documentant, photos et vidéos à l’appui, l’existence d’une livraison illégale d’armes par le MIT – l’Agence de renseignement turque – à des militants djihadistes en Syrie. Ces révélations lui ont valu de devenir réfugié en Allemagne.

Mondo 79, Tarlabası, Istanbul

Le 27 novembre 2024, le HTS, des « rebelles menés par des islamistes extrémistes » s’emparent en seulement 10 jours de Damas, renversant le clan Assad. Le rôle de la Turquie dans cette conquête est discuté, entre laissez-faire et soutien actif[3]Radio France, Pourquoi la Turquie joue un rôle majeur derrière l’offensive des rebelles en Syrie, 2.12 2024.. Le 12 décembre 2024, le chef du HTS, Abou Mohammed al-Joulani et le directeur du MIT s’affichent à Damasallant jusqu’à faire la prière ensemble à la mosquée des Omeyyades. Tout un symbole.

LES RÉFUGIÉ·ES SYRIEN·NES, ENJEU ÉLECTORAL

Ces événements se sont produits au moment où Erdogan est confronté à une situation politique intérieure très tendue, à la fois en raison de la crise économique, mais aussi de la perception largement répandue dans l’opinion publique que la présence de réfugié·es est à l’origine des problèmes du pays. Une présence associée à Erdogan, qui a soutenu l’accueil des Syrien·nes fuyant la guerre dès 2011, faisant de la Turquie l’un des plus grands pays d’accueil de réfugié·es au monde, avec environ 3 millions de personnes[4]Voir le site de l’Association pour les réfugiés, Türkiye’deki Suriyeli sayısı. Disponible sur : multeciler.org.tr/turkiyedeki-suriyeli-sayisi/5bianet. La thématique est donc devenue un enjeu électoral, avec, paradoxalement, les anti-Erdogan marqués au centre gauche soutenant une position hostile aux réfugié·es. C’est pour résoudre ce problème qu’Erdogan avait, un temps, tenté de se rapprocher de Bachar El-Assad. Et c’est la raison pour laquelle il tente aujourd’hui de favoriser leur retour en Syrie. Conformément à la Constitution, Erdogan ne peut pas se représenter à la présidence.Toutefois, faute de leader charismatique dans son camp, des moyens sont déjà envisagés pour la contourner, voire proposer un amendement. La question syrienne et les réfugié·es sont ainsi instrumentalisés pour façonner les conditions sociales nécessaires.

Amgad Beblawi, 2015 via Wikimedia Commons

UN STATUT PRÉCAIRE ET SANS GARANTIE

Tout d’abord, les exilé·es syrien·es n’ont pas le statut de réfugié et bénéficient d’une protection provisoire en raison d’une réserve de la Turquie (geographical limitation) à la Convention de Genève (1951). Cette protection provisoire les empêche de faire un projet de vie à long terme : leurs droits en matière de logement, d’éducation, de santé et l’accès au marché du travail sont restreints. Or, la perception qu’a une majorité de la société turque des réfugié·es syrien·es est totalement biaisée, comme en attestent des sondages: l’opinion générale croit qu’ils et elles bénéficient de services de santé gratuits et illimités, ont accès aux universités sans examens, sont la première cause de chômage et de la hausse astronomique des loyers. Bien que la société civile tente de défendre leurs droits et de combattre les stéréotypes et les préjugés, les discours de haine et les informations manipulées restent très répandus, devenant parfois viraux sur les réseaux sociaux. Ils ont eu de graves conséquences dans certaines localités[5]bianet.org, Mültecilere Karşı Sosyal Medyadan Örgütlenen Saldırılar Neden Önlenemiyor ?, 24.8.2017., poussant des réfugié·es à fuir[6]Soysüren, I., La migration, la montée du racisme et les Africain·es, asile.ch, VE186/fév 2022.

QUE PENSENT LES RÉFUGIÉ·ES SYRIEN·NES D’UN RETOUR ?

La chute du régime Assad laisse les réfugié·es divisé·es quant à un retour proche en Syrie : certain·es pensent que celui-ci sera possible dès que l’atmosphère politique s’y stabilisera; d’autres n’envisagent pas de rentrer. Ils espèrent que leurs enfants, nés en Turquie, malgré des conditions de vie précaires, pourront se construire un avenir sûr dans un pays stable. Erdogan a annoncé que les entrées et sorties limitées entre les deux pays seraient autorisées jusqu’au 1er juillet 2025 afin d’encourager les gens à observer la situation et de favoriser les retours. Il a également promis que « nous ne forcerons personne à retourner en Syrie ». Les interviews de la journaliste turque reconnue Nevşin Mengü réalisés en Syrie au plus fort des événements montrent qu’un membre de la famille se rend généralement en Syrie pour évaluer la situation et les possibilités de retour durable. En janvier 2025, le ministre de l’Intérieur a annoncé que 52 622 Syrien·nes étaient rentrés dans leur pays au cours du mois précédent.

© 2018 European Union
Giorgi Balakhadze, via Wikimedia Commons

Données sociodémographiques

CAPITALE Ankara

RÉGIME POLITIQUE Système présidentiel

PRÉSIDENT Recep Tayyip Erdoğan

RUPTURES POLITIQUES

  • 1071 Installation des Turcs en Anatolie après la Guerre de Malazgirt
  • 1299 Début de l’Empire ottoman
  • 1923 Début de la République de Turquie après la Première Guerre mondiale
  • 1980 Coup d’État militaire 
  • 2017 Transition vers un système présidentiel de type turc et totalitarisation

LANGUE OFFICIELLE turc 

POPULATION 85 372 377, 2024, dont 15,1 % est âgée de 15-24 ans

CORRUPTION 34/100, Transparency International, 2022

DONNÉES MIGRATOIRES Nombre de réfugié·es syrien·nes sous protection provisoire : 2 870 226, dont 498 885 vivent à Istanbul et 401 860 à Gaziantep (23.01.2025)


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Notes
Notes
1 La grande mosquée des Omeyyades de Damas est l’une des plus anciennes et des mieux conservées au monde. Elle a une signification religieuse importante, en particulier dans le clivage alévi-sunnite, voir Wikipédia.
2 Dündar C., How Turkey pursues dissident exiles like me all over the world, The Washington Post, 23.01.2023.
3 Radio France, Pourquoi la Turquie joue un rôle majeur derrière l’offensive des rebelles en Syrie, 2.12 2024.
4 Voir le site de l’Association pour les réfugiés, Türkiye’deki Suriyeli sayısı. Disponible sur : multeciler.org.tr/turkiyedeki-suriyeli-sayisi/5bianet
5 bianet.org, Mültecilere Karşı Sosyal Medyadan Örgütlenen Saldırılar Neden Önlenemiyor ?, 24.8.2017.
6 Soysüren, I., La migration, la montée du racisme et les Africain·es, asile.ch, VE186/fév 2022