Le Courrier | Nouveau «délit de solidarité»
Alain Meyer | Journaliste au Courrier
Pour avoir «prêté» son adresse à un requérant en fuite d’un centre fédéral d’asile en 2024, une Jurassienne a été perquisitionnée puis poursuivie. Le climat se durcit dans le Jura. Cet article a été publié dans Le Courrier en date du 7 avril 2025. Nous le relayons ci-dessous.
L’article du Courrier est à retrouver directement sur leur site.
ASILE · Le Ministère public jurassien lui a communiqué à fin janvier que l’enquête pénale à son encontre était désormais complète. Prélude soit à une amende, un procès ou un classement sans suite de son dossier. Mais la présidente du Mouvement jurassien de soutien aux sans-papiers et migrant·es (MJSSP), Caroline Meijers, n’en revient toujours pas qu’une telle affaire s’invite dans son canton d’adoption, lequel est connu pour être une terre d’accueil. Active de longue date dans le Jura, cette Néerlandaise naturalisée Suissesse ajoute n’avoir jamais eu non plus maille à partir ni avec la police ni avec la justice dans le cadre de ses activités.
Perquisition
Au motif d’avoir facilité l’an passé le séjour illégal d’un requérant, elle se déclare aujourd’hui écœurée d’être traînée en justice après vingt-cinq ans de militantisme, elle qui se bat depuis 1996 au sein des comités référendaires jurassiens contre les durcissements de l’asile. «On a toujours tout fait en règle dans notre association en prenant bien soin de ne pas détériorer des situations. Et la police a toujours été polie à notre égard, nous secondant lors de manifestations», dépeint-elle. Elle note aussi que les agents «se sont excusés» lors de leur perquisition à son domicile le 3 avril 2024 à Undervelier, à une dizaine de kilomètres de Delémont. «Il était 8h. Je n’étais pas réveillée.»
Qu’allait chercher la police mandatée ici par le Service cantonal de la population sur ordre du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM)? Un Syrien d’une trentaine d’années que Caroline Meijers avait supposément hébergé pour lui éviter une suspension de procédure d’asile. «Il avait besoin d’une adresse», résume-t-elle. Fuyant les affres d’une Syrie encore en feu où sa famille subissait des tortures, il avait transité par la Turquie avant d’arriver en Suisse. Placé au centre fédéral de requérant·es de Brugg en Argovie, il avait disparu le 6 février 2024, selon des documents que Le Courrier a pu consulter. «Il avait un cousin dans le Jura. Voilà pourquoi il a débarqué ici. Son dossier était très lourd. Je crois qu’il est aujourd’hui en Allemagne», avance-t-elle.
«J’ai donné mon adresse qui s’est ensuite retrouvée dans les correspondances avec le SEM» Caroline Meijers
C’est par l’entremise d’une migrante qui vit à Delémont, elle-même liée à des ressortissant·es de Syrie, que Caroline Meijers a pris connaissance de ce cas précis. «Notre association s’est alors réunie et nous avons décidé de trouver un lieu pour héberger cette personne momentanément. J’ai donné mon adresse qui s’est ensuite retrouvée dans les correspondances avec le SEM», éclaire-t-elle. Un mois après la fuite du requérant syrien, le Secrétariat d’Etat aux migrations actait dans une missive que ce dernier était chez elle.
«Mauvaise menteuse»
«Ma motivation était de lui permettre de conserver sa demande ouverte en sachant que son dossier avait de bonnes chances d’être accepté. Je ne l’aurais pas fait sinon», nous explique-t-elle. Mais la police s’est pointée. «Ne trouvant aucun requérant chez moi, les agents ont même regardé sous le lit et m’ont demandé alors… mais où est-il? Il est parti pour quelques jours, leur ai-je répondu. Où? Je ne vous le dirai pas», a-t-elle répliqué aux trois jeunes pandores en civil, dont un posté devant l’entrée. «Ils ont été très gentils avec moi et gênés. Ils n’ont exercé aucune pression. Je leur ai proposé un café et leur ai raconté pourquoi je protestais contre la loi sur l’asile. Ils sont restés une demi-heure, me signalant que j’avais enfreint la loi sur les étrangers. Toujours aussi embarrassés, ils ont rajouté encore qu’ils pourraient devoir revenir.»
Caroline Meijers avait essayé de leur faire croire que ce Syrien séjournait chez elle. Mais en l’absence d’affaires personnelles, la maréchaussée a rapidement déduit qu’il n’y avait jamais mis les pieds. «Je suis une mauvaise menteuse», admet avec du recul la présidente du MJSSP. Une année après les faits, elle affirme ne pas craindre de devoir y répondre derrière les barreaux. «J’irai en prison avec joie et fière de montrer une autre moralité. Faisons preuve de courage», conclut-elle.
«Esprit de solidarité»
La poursuite qui la vise constitue «une ingérence dans la liberté d’association et de réunion pacifique», estime son avocat. Selon lui, les faits qui lui sont imputés le sont en sa qualité de membre du Mouvement de soutien aux sans-papiers et migrant·es. «Pour des activités qui visent la réalisation du but du mouvement», précise bien Me Olivier Peter. Une liberté protégée par l’article 10 de la Cour européenne des droits de l’homme. «L’autorité doit démontrer par exemple qu’il existe un besoin social impérieux de poursuivre et de sanctionner une activiste pacifique pour avoir apporté de l’aide désintéressée à une personne en situation de vulnérabilité», écrit-il dans ses observations expédiées le 3 avril au Ministère public jurassien. «Nous demandons l’abandon des charges», a-t-il confirmé lundi au Courrier.
Déplorant l’absence de jurisprudence pour ce genre d’affaires, il convoque aussi «l’esprit de solidarité et d’ouverture au monde» mentionné dans le préambule de la Constitution suisse en invitant la justice à procéder au classement du dossier. Si tel n’était pas le cas, sa cliente ferait sans doute opposition à toute procédure pénale et un procès pourrait suivre.
Source image mise en avant: Nicolas Rizzon (Pexels)