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Notre regard

L’édito | Le nerf de la guerre… démocratique

Sophie Malka

À votre avis, qui a écrit à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter à propos de son projet d’allègement budgétaire 2027 : « Il serait fallacieux et imprévoyant d’opter pour la solution de facilité consistant à reporter un certain nombre de charges sur les cantons », ajoutant espérer que « le Département fédéral des finances sera capable d’affiner ses outils de prévision [qui] sont parfois aléatoires comme les comptes 2024 nous l’ont prouvé une nouvelle fois[1]Référence aux nombreuses années où les finances fédérales ont terminé sur un bénéfice au lieu du déficit annoncé.en se clôturant avec un déficit de 80 millions en lieu et place des 2,6 milliards budgétés » ?

Un indice ? Ce ne sont ni les partis de gauche, ni les syndicats, ni même les cantons. Mais le Centre patronal[2]Centre patronal, Consultation : loi fédérale sur le programme d’allègement budgétaire 2027, 25 avril 2025 qui critique un report de charges sur les «générations à venir», façon polie de parler d’une politique à courte vue. Avec un sens certain de la formule, celui-ci appelle à abandonner certaines mesures, dont les coupes dans l’asile. Et de rappeler que si l’objectif est de compenser la hausse des dépenses militaires et la 13e rente AVS, il s’agit de trouver un équilibre «pérenne et durable» au niveau du budget fédéral, pas de grever les finances cantonales ni de mettre en péril la cohésion sociale et la démocratie. Nombre de mesures sont jugées néfastes sur le long terme pour la Suisse, sa croissance, son rayonnement, son économie. Et fondées sur une analyse erronée.

En proposant de stopper au bout de 4 ans au lieu de respectivement 5 et 7 ans les forfaits fédéraux alloués aux cantons pour l’intégration des réfugié·es et titulaires d’admission provisoire, Keller-Suter se décharge sur les cantons. Certains n’assumeront pas la hausse des coûts. Elle sape donc les fondements de l’Agenda intégration suisse (AIS) entré en vigueur mi-2019. Un dispositif misant sur le fait que la formation est le préalable nécessaire à un emploi durable. Et donc à la sortie de l’aide sociale.

L’AIS qui, selon les «faits et chiffres» de la Confédération, assure que « pour chaque franc investi, les collectivités publiques économiseront à long terme jusqu’à quatre francs par personne en âge de travailler »[3]SEM, Faits et chiffres concernant l’Agenda Intégration, 25.04.2018. Si l’inverse est vrai, le coût pour la collectivité n’en sera que plus cuisant. Car affirmer comme le fait la Conseillère fédérale que cela incitera les gens à plus rapidement entrer sur le marché de l’emploi n’est que poudre aux yeux. On le voit avec les réfugié·es d’Ukraine, qu’elle-même avait – alors qu’elle dirigeait l’asile – vanté·es plus aptes que «les autres» à s’insérer rapidement sur le marché du travail. Sans mesure d’intégration suffisante, les écueils sont les mêmes. Il faut des moyens et du temps pour apprendre la langue, acquérir la formation susceptible de décrocher un poste stable. (p. 25)

Alors que l’AIS commence à porter ses fruits, c’est un retour en arrière qui est ici planifié. Ce sont vers des emplois précaires et insuffisamment rémunérés que seront orientés les gens. Non vers une autonomie financière et la sortie de l’aide sociale.

Le fait-elle à dessein ? On peut se le demander tant les domaines auxquels son département choisit de couper les vivres sont ceux contribuant à la cohésion sociale. Domaines qui ressemblent à s’y méprendre à ceux auxquels s’est brutalement attaqué Donald Trump. Médias, formation et hautes écoles, diversité linguistique, Genève internationale… On comprend mieux pourquoi Karin Keller-Suter a été, avec Viktor Orban, la seule dirigeante européenne à applaudir les attaques de J. D. Vance à Munich contre les démocraties européennes.[4]Le Temps, Karin Keller-Sutter à propos de J. D. Vance : « C’était un discours libéral, dans un certain sens très suisse », Frédéric Koller, 15.04.25 ; Fondation Jean-Jaurès, À … Lire la suite


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Notes
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1 Référence aux nombreuses années où les finances fédérales ont terminé sur un bénéfice au lieu du déficit annoncé.
2 Centre patronal, Consultation : loi fédérale sur le programme d’allègement budgétaire 2027, 25 avril 2025
3 SEM, Faits et chiffres concernant l’Agenda Intégration, 25.04.2018
4 Le Temps, Karin Keller-Sutter à propos de J. D. Vance : « C’était un discours libéral, dans un certain sens très suisse », Frédéric Koller, 15.04.25 ; Fondation Jean-Jaurès, À Munich, J.D. Vance rompt avec l’Europe et les valeurs démocratiques, Ludivine Gilli, 28.04.25