Interdiction de voyage | La “nouvelle loi” n’a rien de nouveau
Sophie Malka & Sarah Pfitzmann
Le 22 octobre 2025, le Conseil fédéral a publié un communiqué annonçant l’ouverture de la consultation pour la mise en oeuvre d’une interdiction de voyage à l’étranger pour les requérant·es d’asile, les personnes admises à titre provisoire et les personnes à protéger ». « Dorénavant », écrivent les autorités, celles-ci « ne pourront en principe plus se rendre dans leur pays d’origine ou de provenance ou dans un autre pays ». En réaction à cette annonce, l’association Verband-F, formée de personnes titulaires d’un permis F (admission provisoire), a diffusé sur son compte Instagram un billet rappelant que les permis F n’ont déjà en principe pas le droit de sortir de Suisse et que le durcissement en question n’est qu’une façon de plus d’exclure celles et ceux qui sont venu·es demander une protection à la Suisse. Intitulé « Interdits de voyage depuis des années et vous appelez cela une « nouvelle loi »? Jusqu’où allez-vous encore être ironiques »? Verband F questionne ici le sens de la communication -ou de cynisme- des autorités. Derrière une annonce politique, ces personnes rappellent une réalité inchangée — celle d’une vie sans passeport, sans liberté et sans perspective.
A propos du changement législatif
Adoptée le 17 décembre 2021 par le Parlement, la modification législative devait être transposée dans des ordonnances par le Conseil fédéral. Or, l’activation du permis S pour les réfugié·es d’Ukraine en 2022 a retardé le processus. Calqué sur le statut octroyé dans l’Union européenne aux mêmes réfugié·es, ce permis S instaurait en effet une liberté de circulation aux réfugié·es d’Ukraine. Et seulement à eux. En d’autres termes, la modification voulue par le Parlement, qui concernait aussi les « personnes à protéger (permis S) » entrait en contradiction avec la modification législative que voulait imposer le Parlement. Un casse-tête que le Conseil fédéral vient de résoudre en adoptant une « réglementation spéciale » pour les Ukrainien·nes. Confirmant de fait une discrimination dans la loi vis-à-vis des autres réfugié·es de la guerre: en effet, les titulaires d’un permis F, qui sont également et majoritairement des réfugié·es de guerre, n’ont jamais pu voyager librement. Même obtenir une autorisation pour l’enterrement d’un parent à l’étranger est une gageure. Et les exceptions seront encore plus rares avec ces nouvelles ordonnances.
Ci-dessous le post Instagram de @verband_f.ch du 27 octobre traduit par nos soins de l’allemand au français. Vous trouverez la version originale sur le compte Instagram de l’association. Nous publions également le communiqué de presse du Conseil fédéral.
« Interdits de voyage depuis des années et vous appelez cela une « nouvelle loi »? Jusqu’où allez-vous encore être ironiques? »
Post Instagram de @verband_f.ch du 27 octobre 2025

Nous, admis temporairement (F-ID) vivons en Suisse depuis des années, depuis 10, 15 voire 20 ans, sans passeport, sans voyage, sans liberté. Et maintenant, les autorités vendent cela comme une « nouvelle loi ». Mais ce n’est pas nouveau. C’est notre réalité depuis des années. Être admis à titre provisoire signifie vivre constamment avec des restrictions : dans la vie quotidienne, au travail, dans la formation, dans les déplacements. On ne peut pas voyager, on ne peut pas voir la famille. Souvent, nous ne sommes pas autorisés à faire des formations continues, à trouver un travail fixe et à construire un avenir.
Nous vivons dans la constante incertitude entre espoir et contrôle, entre tolérance et isolement. Et pourtant ils expliquent publiquement que ce serait quelque chose de nouveau. En vérité ce n’est qu’une vielle politique dans un nouvel emballage. Une répétition. Une tromperie. Une moquerie envers tous ceux qui ne savent pas ce que cela signifie de vivre en suisse en tant qu’admis provisoirement.
Cette vie sans perspective n’est pas une coïncidence, c’est un système. Un système qui n’arrête pas de nous rappeler la chose suivante : tu peux rester, mais tu ne dois jamais arriver.
Et puis ensuite les autorités disent :
Que nous ne nous intégrons pas
Que nous ne travaillons pas
Que nous n’avons pas notre place ici.
Mais comment sommes-nous supposés nous intégrer, lorsqu’on nous restreint la liberté ? Comment pouvons-nous contribuer, quand le système nous bloque constamment ?
Ces durcissements constants, ces perpétuelles nouvelles „lois”, ne créent pas de solutions, mais créent le désespoir. Ces derniers détruisent la motivation. Ils plongent les gens dans la détresse psychologique, le désespoir et la pauvreté.
Le système d’asile en Suisse est depuis longtemps un « chaos ».[1]L »expression « chaos de l’asile» est une accusation régulièrement faite par l’UDC à l’encontre du système d’asile.Et chaque nouveau resserrement ne rend la tâche que plus difficile pour celles et ceux qui ont déjà tout perdu depuis des années.
Soyons clairs :
La loi n’est pas nouvelle.
Nous vivons cela depuis des années.
Et on en a marre de cette hypocrisie.
Extrait du communiqué de presse, publié le 22 octobre 2025
Les personnes qui relèvent du domaine de l’asile ne pourront plus voyager à l’étranger qu’à titre exceptionnel
Berne, 22.10.2025 — Dorénavant, les requérants d’asile, les personnes admises à titre provisoire et les personnes à protéger ne pourront en principe plus se rendre dans leur pays d’origine ou de provenance ou dans un autre pays. Conformément à la volonté du Parlement, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) ne pourra plus autoriser ce type de voyages que dans des cas exceptionnels. Les personnes en provenance d’Ukraine titulaires du statut de protection S ne sont pas concernées par cette interdiction de principe. Lors de sa séance du 22 octobre 2025, le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur les modifications d’ordonnances nécessaires et sur une réglementation spéciale.
Pour lire la suite du communiqué de presse, cliquez ici.
Notes
| ↑1 | L »expression « chaos de l’asile» est une accusation régulièrement faite par l’UDC à l’encontre du système d’asile. |
|---|