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Documentation

CSP | Des nouvelles d’Amanuel

Le Centre social protestant de Genève s’est adressé aux quelques 4800 signataires de la pétition lancée contre le renvoi d’un père de famille, Amanuel, vers l’Italie alors que sa famille est en Suisse. L’exécution du renvoi a suscité une vague d’émotion et une conférence de presse avait été tenue, en présence de l’épouse. Le magistrat genevois en charge du dossier, Pierre Maudet, s’est exprimé ce mercredi 16 mars 2016 dans La Tribune de Genève. Dans son message (ci-dessous), le CSP fait le point, répond aux arguments liés aux conditions du renvoi, tente de calmer le jeu tout en désignant clairement les responsabilités politiques et les droits fondamentaux bafoués dans cette affaire.

Des nouvelles d’Amanuel –

Communiqué du Centre social protestant du 16 mars 2016

Mesdames, Messieurs, Cher-e-s ami-e-s,

Nous revenons vers vous avec quelques informations au sujet d’Amanuel G., et nos commentaires suite aux informations données par le Conseiller d’Etat Pierre Maudet dans la Tribune de Genève de ce jour.

Premièrement, nous tenons à vous informer qu’Amanuel G. se trouve actuellement à Rome. Il va « bien » et se débrouille comme il peut. Il a pris contact avec les autorités italiennes pour faire renouveler son permis de réfugié en Italie, et cette seule démarche semble devoir prendre plusieurs mois.

Concernant les informations parues ce jour dans la Tribune de Genève : il est vrai que nous n’étions pas au courant que M. Maudet avait tenté d’intervenir auprès de Mme Sommaruga. Il ne nous a contacté ni avant pour examiner des pistes ensemble, ni après pour nous communiquer la fin de non-recevoir à laquelle il s’est malheureusement heurté auprès de la Conseillère fédérale.

Concernant les méthodes de la police au moment de l’expulsion, la version de M. Maudet est basée sur le rapport rédigé par les personnes qui ont procédé à l’interpellation d’Amanuel G. On imagine aisément que ce rapport soit sensiblement plus avantageux que le témoignage de la famille séparée à cette occasion. De manière générale, même sans coup physique ni précipitation, nous sommes d’avis qu’entrer en catimini peu avant 4h du matin dans la chambre d’une famille pour arracher un père à ses enfants relève d’une forme de violence. Sur le déroulement des évènements, nous restons pour notre part convaincu de la véracité des faits rapportés par l’épouse d’Amanuel G. et de l’inadéquation totale de ces méthodes par rapport à la situation. La version de l’épouse d’Amanuel G. est du reste entièrement corroborée par celle d’Amanuel lui-même que nous avons depuis pu avoir au téléphone. De tels faits sont également corroborés par plusieurs autres témoignages similaires recueillis ces dernières années sur le terrain.

Sur le fond, nous restons évidemment révoltés par l’application faite du droit fédéral par le Secrétariat d’état aux migrations et par le Tribunal administratif fédéral qui ont abouti à cette situation. La décision de séparer cette famille est scandaleuse et nous continuerons à le clamer haut et fort.

Jean Zermatten, fondateur de l’Institut international des droits de l’enfant, en Valais, et président du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, l’a relevé dans la Tribune de Genève lundi dernier:

« Ce qu’ils ont fait là est totalement inhumain». Pour ce spécialiste, trois droits fondamentaux posés par la Convention relative aux droits de l’enfant ont été bafoués: l’intérêt supérieur de l’enfant, le principe de non-discrimination et le droit d’un enfant de vivre avec ses parents pour assurer son développement. «Dans le cas d’une famille suisse, on admettrait forcément que l’intérêt de l’enfant est de vivre avec son père et sa mère», illustre-t-il. Un seul motif aurait été plus fort: démontrer qu’Amanuel G. représentait une menace pour la sécurité de la Suisse. «Or, comme cela n’est pas le cas, l’intérêt des enfants de vivre avec leur père est supérieur à celui de la Suisse de le renvoyer», conclut Jean Zermatten.

Plutôt que de noter que le Tribunal administratif fédéral a expressément refusé de se prononcer sur cette question de l’intérêt supérieur des enfants pourtant dûment invoquée, M. Maudet relève que ledit Tribunal a estimé dans son arrêt que la demande d’asile d’Amanuel G. en Suisse était «à la limite de l’abus de droit», dans la mesure où il était déjà réfugié reconnu en Italie.

Pour rappel, même s’il était réfugié reconnu en Italie, Amanuel G. y a vécu dans des conditions extrêmement précaires pendant cinq années, de squats en dortoirs temporaires en passant par des hangars désaffectés. Amanuel G. a donc, dans ce contexte, conseillé à son épouse de ne pas le retrouver en Italie et d’aller en Suisse pour demander l’asile, dans l’espoir de la rejoindre ensuite pour y vivre une vie de famille. Qui peut affirmer qu’il aurait fait autrement à sa place ? Si c’est cela frôler l’abus de droit, c’est peut-être que le droit lui-même pose problème.

Nous tendons désormais à retourner dans la discrétion dans laquelle nous oeuvrons d’ordinaire, car nous avons besoin de pouvoir renouer un dialogue serein avec les autorités politiques, en particulier au niveau cantonal. Si le cas d’Amanuel G. suscite une large indignation d’autres personnes et acteurs publics, nous ne pouvons que nous sentir encouragés à continuer la défense de cette famille. Il est important de rappeler aux acteurs politiques concernés, et en particulier à Mme Sommaruga, que c’est le sort d’une famille qui est en jeu, et qu’il est humainement insoutenable qu’elle soit brisée et que les enfants grandissent sans leur père.

Nous vous remercions vivement pour votre important soutien et votre confiance.

Avec nos salutations les plus cordiales,

Le Centre social protestant de Genève