Editorial | Contre les abus
«Contre les abus»: c’est le maître mot de toutes les propositions en cours d’élaboration pour un nouveau durcissement du droit d’asile, après avoir été le leitmotiv de la dernière révision et de son arrêté urgent. «Contre les abus du droit d’asile», c’est aussi le titre de la nouvelle initiative que l’Union démocratique du centre (UDC) a déposée le 13 novembre dernier. Pourquoi se gêner? La formule a déjà fait la preuve de son efficacité.
Le problème, c’est que les abuseurs ne sont pas toujours ceux auxquels on pense. A force de vouloir traquer les abus, la loi sur l’asile a en effet été dotée d’instruments qui ouvrent aujourd’hui toute grande la porte aux abus… des autorités. C’est la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) elle-même qui vient de le démontrer en désavouant l’usage fait par l’Office fédéral des réfugiés (ODR) de la notion médicale «d’âge osseux».
«Pour déterminer l’âge réel d’une personne, on ne peut tirer de conclusions absolues de la radiographie des os de la main, l’âge osseux pouvant varier d’un individu à l’autre notamment en fonction de sa race ou de son sexe», résume aujourd’hui la CRA en tête d’une décision de principe appelée à faire jurisprudence après plus d’une année d’usage intensif de cette méthode par l’ODR contre les requérants mineurs. Fort bien. Mais n’était-ce pas l’évidence dès le premier jour (cf. Vivre Ensemble, n°76, février 1999)?
Qui ne sait qu’en matière de développement physique il y a les grands et les petits, les gros et les maigres, les baraqués et les fluets? Qui ne sait que la grande variété des cas individuels implique parfois des écarts importants par rapport à la moyenne, et que celui qui n’est pas dans la norme n’est pas pour autant un menteur?
Et pourtant des dizaines de collaborateurs de l’ODR ont signé sans sourciller des centaines de décisions de renvoi immédiat au motif que l’âge allégué par le requérant ne coïncidait pas exactement avec l’âge osseux dont on le créditait. Un dérapage gravissime qui a été rendu possible par l’élargissement des critères de non entrée en matière voulu par l’arrêté urgent pour lutter «contre les abus». Et à cause d’une autre disposition abusive de la loi, qui limite à 24 heures le délai utile pour recourir dans ce genre de cas, la grande majorité n’a pu faire annuler ces décisions abusives.
Oui, il faut lutter contre les abus. En sachant qu’il est infiniment plus grave de renvoyer des réfugiés de bonne foi que de laisser passer un tricheur entre les mailles du filet. Telle qu’elle est, la législation sur l’asile autorise hélas d’innombrables abus qui mettent en danger la sécurité de ceux qui viennent nous demander asile.