Persécutions non étatiques | A quand l’abandon d’une pratique sans fondement?
La Suisse, pays le plus restrictif
Pour ce qui touche à la définition du réfugié, la Suisse est désormais la dernière de la classe. Le seul pays européen à continuer d’exiger la démonstration d’une responsabilité de l’Etat dans les persécutions invoquées pour demander l’asile. L’Italie et la France ont modifié leur jurisprudence ces dernières années pour se contenter d’examiner si le pays d’origine peut ou non apporter une protection, quel que soit l’auteur des persécutions. L’Allemagne, elle, a modifié sa législation en juin dernier, reste le cas suisse. Inquiet de nous voir montrés du doigt, l’Office fédéral des réfugiés (ODR) s’interroge depuis deux ans sur la nécessité de modifier la pratique (Vivre Ensemble, n°80). Le 4 septembre 2002, dans son message sur la révision de la loi sur l’asile, le Conseil fédéral en a admis le principe, tout en soulignant que cela n’impliquait pas un changement de loi. La Commission de recours en matière d’asile (CRA) pourrait franchir le pas, mais le contexte politique, toujours très important pour la CRA, n’est guère favorable. Nous reproduisons ci-dessous un texte du Haut commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (HCR) qui plaide, une fois encore, pour plus de respect de la Convention de Genève. (Réd.)
La Convention des Nations Unies de 1951 sur les réfugiés prévoit la protection contre la persécution. Mais elle n’y est pas définie, et rien n’y est dit sur ses auteurs. Cela a entraîné un important débat sur l’étendue de la protection offerte par la Convention.
Lorsqu’on parle de persécution, on pense souvent à certains services officiels sinistres, au recours à la torture par des policiers, ou à des soldats qui oppriment les civils. À l’époque de la Shoah, tout l’appareil d’un Etat visait à la persécution d’un peuple précis. Lorsque les auteurs de la Convention définissent le terme réfugié, il ne fait aucun doute qu’ils songent essentiellement à la persécution par des services de l’Etat.
Persécution au sens large
Un des principaux objectifs de la Convention des Nations Unies de 1951 sur les réfugiés est d’empêcher que des gens ne soient renvoyés dans des pays où ils risquent d’être victimes de violations graves des droits de l’homme ou de persécutions. Elle n’affirme à aucun moment qu’un Etat seul puisse en être responsable. Ainsi, tout groupe qui détient un pouvoir substantiel dans un pays peut persécuter. Le HCR a, par conséquent, toujours considéré que la Convention s’applique à toute personne qui craint avec raison d’être persécutée, quelle que puisse être l’identité des persécuteurs. La position du HCR est partagée par la grande majorité des Etats ayant adhéré à la Convention. […]
Auteurs non spécifiés
D’autres traités internationaux de droits de l’homme, comme la Convention de 1984 contre la torture et autres traitements, cruels, inhumains ou dégradants, et la Convention européenne de 1950 pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne font aucune distinction entre des acteurs responsables de torture ou autres traitements inhumains ou dégradants d’Etat ou non. Une personne doit être protégée, quel que soit l’auteur de ces agissements.
Pouvoirs multiples
Le pouvoir de s’imposer par des moyens policiers ou militaires n’est désormais plus exclusivement réservé aux Etats. Un pays comme la Somalie ne dispose pas d’un gouvernement capable de contrôler, avec toute l’autorité nécessaire, son territoire et son peuple; en effet, elle n’a aucun gouvernement reconnu sur le plan international. Au lieu de cela, des chefferies s’appuyant sur des bandes armées et des chefs de guerre contrôlent différents territoires. Les talibans, qui détiennent pratiquement tout le pouvoir politique et militaire en Afghanistan, ne sont pas reconnus, par certains pays, comme constituant un agent étatique légitime. Dans des pays comme l’Angola, la Colombie et le Sri Lanka, des groupes armés indépendants des gouvernements exercent leur pouvoir sur des régions entières.
Femmes menacées
La persécution n’est ni un domaine réservé de l’Etat, ni l’apanage de groupes armés non gouvernementaux. Elle peut tout aussi bien être perpétrée par des sectes, des clans ou une famille. Certaines coutumes traditionnelles peuvent être assimilées à de la persécution. Si un gouvernement ne peut ou ne veut interdire de telles coutumes, des gens peuvent être forcés de fuir leur propre pays pour sauver leur vie, leur liberté ou même leur intégrité physique.
En 1985, le Comité exécutif du HCR reconnaît que la situation vulnérable des femmes les expose souvent à la violence physique, à l’abus sexuel et à la discrimination. Il considère que les femmes soumises à des traitements durs ou inhumains, parce qu’elles ont transgressé les mœurs de la société dans laquelle elles vivaient, peuvent être protégées selon les termes de la Convention des Nations Unies de 1951 sur les réfugiés.
Absence de protection
Un exemple de persécution motivée par l’appartenance sexuelle se rapporte à deux femmes pakistanaises qui ont obtenu le statut de réfugiées au Royaume-Uni parce qu’elles étaient maltraitées, jusqu’à la persécution, par leur propre mari. La Chambre des Lords, la plus haute instance juridique du Royaume-Uni, a considéré qu’elles étaient des réfugiées aux termes de la Convention puisque le gouvernement pakistanais n’était pas disposé à les protéger, parce qu’elles étaient des femmes. Les sociétés qui pratiquent la discrimination contre les femmes ou les homosexuels peuvent fermer les yeux sur la persécution motivée par le sexe de la victime ou par son orientation sexuelle… Quelques sociétés permettent, voire encouragent, la mutilation génitale des femmes. Pour certaines femmes ou filles, cette coutume peut s’assimiler à de la persécution. Si elles refusent de se soumettre à la coutume, elles «transgressent les mœurs sociales». L’Etat les défendra-t-il alors? En l’absence de cette protection, leur seul moyen d’éviter des sévices terribles est de fuir leur pays et de devenir des réfugiées.
Haut Commissariat pour les réfugiés, Les réfugiés dans le Monde (2000), p. 162