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BILAN | L’asile rapporte 1 milliard à l’économie suisse

Les requérants sont aussi une source de profits. Pour l’année 2002, leur présence a permis d’injecter plus d’un milliard dans le commerce et l’immobilier. Elle génère également au moins 4500 emplois.

Article de Daniel Eskenazi, paru dans Bilan, le 1er mai 2003.

En matière d’asile, certains chiffres sont-ils impubliables? Tout pourrait porter à le croire. Pourtant, leur lecture apporte un éclairage nouveau sur les requérants, en prouvant qu’ils ne sont pas seulement une source de coûts, mais aussi de profits. Si la venue en Suisse de demandeurs d’asile nécessite une assistance étatique de près de 1 milliard de francs par an, leur présence apporte au moins autant a l’économie nationale, dans la même période. Les premiers à en profiter sont évidemment le commerce en général, puis les milieux immobiliers et, le plus surprenant, la Confédération elle-même. L’accueil provisoire des requérants a d’autres effets positifs pour la population: il a suscite la création d’un minimum de 4500 emplois, tous secteurs confondus. Comment se repartit cette manne économique, à laquelle personne ne s’est jamais vraiment intéressé?

Tout bénéfice pour l’Etat

La Confédération, et les Suisses indirectement ou directement, tire de réels bénéfices de la part des requérants, plus particulièrement des demandeurs qui ont obtenu provisoirement le droit de travailler. De la masse salariale globale de ces derniers, qui représente un montant annuel de 468 millions de francs, l’Etat en prélève déjà près de 30 millions à titre d’impôts à la source. Toujours de cette masse salariale, il en retire encore 23,6 millions pour l’AVS, l’AI et l’assurance perte de gains. Une retenue qui ne profite, en réalité, qu’à la population suisse. Les requérants d’asile n’ont pas le réflexe de récupérer leurs cotisations. Le départ de Suisse doit être confirmé. De plus, le remboursement ne s’effectue qu’à la condition que leur pays d’origine ne soit pas lié à la Suisse par une convention de sécurité sociale. Globalement, les requérants d’asile sont rentables au niveau des assurances sociales, explique Beatrix de Cupis, cheffe de secteur a l’Office fédéral des assurances sociales. Autre exemple de profit par défaut: les surplus payés par les requérants pour couvrir leurs frais d’assistance. Des frais pour lesquels la Confédération retient 10% sur leurs salaires, soit 46,8 millions de francs. Comme la plupart des demandeurs d’asile quittent la Suisse sans laisser d’adresse, ces montants dorment dans les comptes de l’Etat. Et la somme n’est pas minime. Selon Yves Brutsch, porte-parole du secteur réfugiés du Centre social protestant a Genève, ce sont 234 millions qui n’ont pas été récupérés jusqu’en juin 2001. Et rien n’indique que la situation a évolué depuis. Ce n’est pas tout. L’assurance chômage a aussi prélevé sa part, 5,8 millions. Et les entreprises privées ont également perçu la leur, 17,5 millions, pour leurs caisses de pension. Une somme que la plupart des requérants ne pensent pas non plus à reprendre quand ils sortent du pays. Ainsi, la Confédération a perçu un montant total de 106,2 millions de francs d’assurances sociales et d’impôts à la source sur les salaires des requérants d’asile actifs.

Un milliard pour l’économie privée

En prenant les revenus nets des requérants actifs pour les ajouter aux 685 millions de francs d’aide verses par l’Etat aux demandeurs non actifs, c’est globalement 1 milliard de francs qui a été investi dans l’économie suisse en 2002. Quels sont les secteurs a avoir principalement bénéficié de cette somme? Une somme égale au montant payé par les contribuables pour Expo.02. Le premier, le commerce de détail. Ce sont ainsi 399 millions de francs qui ont été dépensés en nourriture, en habits et en produits d’hygiène. Ensuite, le milieu immobilier. Avec la crise du logement dans certaines grandes agglomérations, les montants affectés aux loyers ont subi une hausse, pour atteindre les 264 millions. Par exemple, rien que dans le canton de Vaud, 18 millions ont été payés aux gérances et aux propriétaires, précise Marc Hafner, directeur adjoint de la Fondation d’aide aux requérants vaudois (FAREAS). La santé constitue aussi un gros poste. Ce sont plus de 220 millions versés aux caisses, pour les assurances maladie, et aux hôpitaux, pour la prise en charge des soins. Globalement, ces trois secteurs se sont ainsi enrichis de 883 millions de francs l’année dernière.L’analyse de l’apport économique ne serait que partielle si la plus-value de l’activité des requérants n’était pas comptabilisée. Cette valeur ajoutée représente le gain réalisé par les entreprises qui emploient des demandeurs d’asile sur la vente de leurs produits ou de leurs services. En mars 1991, un article du magazine Cash avait déjà évoqué l’importance du travail des requérants pour l’économie suisse. A cette époque, la plus-value apportée par les 33’000 demandeurs actifs avait été estimée a 2 milliards de francs. Ce qui était loin d’être insignifiant: elle était quasiment équivalente a celle du secteur de l’horlogerie et de la bijouterie. Avec la politique restrictive d’accès au marche du travail pour les requérants, en vigueur depuis une dizaine d’années, le nombre de demandeurs actifs a diminue de deux tiers entre 1991 et aujourd’hui. Aussi, la valeur ajoutée apportée par ces derniers a été réduite d’autant: elle est estimée a 700 millions de francs. En effet, la répartition par branches d’activité est aujourd’hui la même qu’en 1991. La moitie des requérants travaillent, par exemple, toujours dans la restauration et l’hôtellerie.

4500 emplois créés

La présence de demandeurs d’asile sur le territoire national a encore pour effet la création de milliers d’emplois. Le principal employeur est la Confédération, avec ses 600 fonctionnaires chargés uniquement de gérer les flux de requérants au sein de l’Office fédéral des réfugiés et les 150 occupés à examiner les dossiers juridiques à la Commission suisse de recours en matière d’asile. Sur le plan cantonal, la prise en charge des demandeurs a également nécessité l’engagement d’environ 2400 personnes. Une estimation qui s’appuie sur la clé de répartition pour chacun des cantons. Par ricochet, la politique d’accueil induit encore la création d’une trentaine d’emplois dans le secteur immobilier et de 1100 postes dans le commerce. A cela, il est encore possible d’ajouter le personnel salarié des oeuvres d’entraide ou des assistances juridiques, notamment. Ainsi, le nombre total d’emplois dus a la présence des requérants d’asile en Suisse est estime a 4500. Soit l’équivalent du personnel d’une entreprise comme Serono.

Une autre vision

Au-delà des réactions négatives que l’accueil de requérants peut susciter dans certains cantons, dernièrement dans le Jura vaudois et aujourd’hui dans la campagne genevoise, la politique d’asile en Suisse prouve qu’elle peut être aussi considérée comme un investissement non seulement humanitaire mais aussi économique. Une lecture objective des chiffres démontre que, comme Expo.02, le milliard dépense pour assister les demandeurs a de conséquents retours financiers qui profitent autant à la population suisse qu’au tissu économique national.

Du travail que les suisses ne veulent pas faire

Les requérants d’asile ne peuvent obtenir une autorisation de travail, limitée a trois mois, que pour des places qui n’ont pas pu ou voulu être pourvues par des citoyens helvétiques ou par d’autres étrangers en possession d’un permis B ou C, explique Marcello Fontana, de l’Office fédéral des réfugiés (ODR). Le salaire moyen d’un requérant d’asile actif en Suisse s’élève à environ 2500 francs par mois, relève Marcello Fontana. Quand il commence à travailler, la Confédération retire 10% de son salaire brut. Ce montant est destiné à couvrir les frais d’assistance reçus pendant la période de non-activité. Cependant, le montant prélevé par l’Etat ne peut dépasser 8400 francs pour un célibataire et 25’200 francs pour une famille. En outre, une observation peut être faite par rapport au nombre de requérants actifs. Le niveau d’occupation des personnes du domaine de l’asile est indépendant de leur effectif. Les requérants répondent à une demande spécifique de main-d’oeuvre vraisemblablement peu ou sous-qualifiée, affirme Marcello Fontana. Autrement dit, les emplois des requérants d’asile sont faiblement rémunérés. Ils fournissent le travail que d’autres ne seraient pas prêts à effectuer, compte tenu de leur précarité. En 2002, sur une population totale de 66’147 demandeurs d’asile, 12’743 étaient actifs, soit 19,3%. Une interdiction de travailler provoquerait des coûts supplémentaires d’assistance pour la Confédération de 400 à 500 millions par an, estime Jörg Frieden, vice-directeur de l’ODR.

Autre donnée marquante: d’une étude effectuée sur la population des requérants d’asile en Suisse entre 1996 et 2000 par Etienne Piguet, professeur de géographie a l’Université de Neuchâtel, il ressort que le temps de séjour est un facteur déterminant de l’activité économique: Plus long est le séjour, plus le requérant a des chances d’obtenir un travail. Après cinq ans de présence, ils connaissent des taux d’occupation comparables à ceux de la population résidente.