Législation | Délai de recours manipulé pour motifs budgétaires: 30 jours, 24 heures, 5 jours…
Empêcher les réfugiés de défendre leurs droits a toujours été au cœur des modifications successives de la loi sur l’asile. Cette fois-ci, l’arrêté urgent qu’on nous prépare sous prétexte d’économies budgétaires s’attaque directement au droit de recours, en limitant à cinq jours le délai pour contester une décision de non-entrée en matière, qui est actuellement de trente jours. Avec l’exclusion de l’assistance de milliers de déboutés (voir VE no 93, p. 6), c’est la mesure la plus grave de ce projet de loi. Une mesure que l’Office fédéral des réfugiés (ODR), fidèle à sa politique d’intoxication, a le culot de présenter comme un progrès.
Actuellement, en cas de non-entrée en matière, le délai de recours est de trente jours mais le renvoi peut être exécuté après vingt-quatre heures. L’effet suspensif lié au droit de recours est en effet systématiquement retiré par l’ODR. Idéalement, il faut donc s’adresser dans les vingt-quatre heures à la Commission de recours en matière d’asile (CRA) en lui demandant la restitution de l’effet suspensif, pour être sûr de ne rien risquer. En pratique, pourtant, le risque d’être renvoyé avant d’avoir eu le temps de recourir est pratiquement nul, sauf en cas de transfert dans un pays voisin. L’organisation d’un rapatriement prend en effet plusieurs semaines en l’absence de documents d’identité. Il est donc possible d’utiliser pleinement le délai de trente jours.
Déni de justice
C’est bien ce qui irrite l’ODR, dont le rêve serait que ses décisions, souvent très superficielles, échappent à tout contrôle. D’où l’idée de ramener le délai de recours à cinq jours, au-delà duquel la décision sera définitive si le requérant, bloqué au centre d’enregistrement, mal informé et ne parlant pas notre langue, ne parvient pas à recourir. Un véritable déni de justice.
On peut s’en rendre compte en étudiant la jurisprudence de la CRA. Sur vingt-sept décisions publiées se rapportant à des cas de non-entrée en matière, seule cinq ont fait suite à des recours présentés dans les cinq jours. Avec le nouveau droit, les autres recours auraient été irrecevables, et la CRA n’aurait jamais pu se prononcer sur de nombreux points de droit, que l’ODR aurait pu continuer d’appliquer à sa façon. Le délai de recours de trente jours vaut, en Suisse, pour toutes les décisions administratives. En cas de décisions incidentes (dans le cours de la procédure), ce délai est de dix jours. Inventer un délai de cinq jours pour les seuls requérants d’asile dénote bien la volonté de nos autorités de saper le droit d’asile par les moyens les plus sournois.
Extension des pays «sûrs»
On l’a vu encore cet été lorsque le Conseil fédéral s’est autorisé à décréter pays «sûrs» la Bosnie et la Macédoine. Des pays où les tensions et les violences interethniques persistent au point que la présence de forces internationales de maintien de la paix y est indispensable. Dire qu’un pays est «sûr», c’est affirmer a priori que ses ressortissants n’ont pas de raison de demander l’asile. De facto, c’est une sorte de restriction géographique de la Convention de Genève, et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés n’a pas manqué de critiquer cette décision en rappelant que nombre de personnes déplacées par la guerre ne peuvent toujours pas regagner leur lieu d’origine, où elles seraient en danger. Mais pour échapper à la non-entrée en matière, lorsqu’on vient d’un pays classé comme «sûr», il faut disposer de moyens de preuve très solides et pouvoir les présenter tout de suite. La grande majorité des requérants n’y parvient pas.
Accroître les non-entrées en matière
En adoptant ce genre de décret arbitraire, sous l’influence de l’ODR, le Conseil fédéral se moque comme de l’an quarante du risque de persécution qui subsiste en Bosnie et en Macédoine, comme dans d’autres pays «sûrs». Ce qu’il veut, c’est accroître le nombre des décisions de non-entrée en matière (6’000 en 2002) pour appliquer au plus grand nombre le délai de recours réduit et la suppression de l’assistance prévus dans le projet d’arrêté urgent sur lequel les Chambres fédérales se prononceront à la session d’automne.
Complément:
Bilan d’un pays sûr: 38’000 morts
L’histoire des pays déclarés «sûrs» pour priver leurs ressortissants du droit d’asile illustre bien l’incompétence des experts de l’ODR. En 1991, ceux-ci avaient poussé le Conseil fédéral a déclarer l’Algérie et l’Angola pays «sûrs». Dans ces deux cas l’éclatement ou la reprise de la guerre civile, un an plus tard, obligeront le Conseil fédéral à rectifier. C’est que les violations des droits de l’homme y étaient trop largement médiatisées.
Mais un pays comme l’Inde intéresse moins la Suisse. Pourtant il n’y a pas de semaine sans que les médias ne rapportent des violences interethniques ou inter-religieuses dans cet Etat. Le Cachemire, notamment, y est à feu et à sang. Depuis 1989, selon une dépêche AFP du 25 juillet 2003, on y dénombre 38’000 morts dus à la guérilla séparatiste et à la répression. Le 18 mars 1991 le Conseil fédéral a déclaré que l’Inde était un pays «sûr», exempt de persécutions. Il a toujours confirmé cette appréciation depuis lors. De qui se moque-t-on ?