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Notre regard

Cas concrets | Procédures bâclées et risques d’erreurs: Qui arrêtera les apprentis sorciers?

La révision de la loi sur l’asile veut accélérer les procédures, multiplier les refus d’entrer en matière, régler un maximum de cas durant les premières semaines, limiter les procédures extraordinaires, et exécuter les renvois par la contrainte, s’il le faut. On a déjà rebaptisé les Centres d’enregistrements pour requérants d’asile (CERA) en Centres d’enregistrement et de procédure (CEP) pour bien montrer que tout se jouera très vite. Eviter les retards, tout le monde est pour. Mais pas n’importe comment.

Dans une procédure où le requérant est isolé dans un centre d’enregistrement, sans assistance juridique d’office, avec des délais de recours réduits de trente à cinq jours en cas de non entrée en matière, une avance de frais à payer en cas de demande de réexamen, les risques d’erreur sont considérables. Trois cas connus du Centre social protestant (CSP) de Genève montrent bien les dangers inhérents à cette logique. Certaines preuves sont en effet longues à obtenir, certaines souffrances ne s’expriment pas de but en blanc, et le fonctionnement d’un centre d’enregistrement ne laissent pas toujours place à une écoute appropriée.

Sans preuve, l’asile est refusé

Cet officier de carrière dans un pays du Moyen-Orient a demandé l’asile en janvier 2001. Devenu sympathisant d’un mouvement d’opposition, il avait fait l’objet d’une perquisition au cours de laquelle on avait trouvé des tracts. Le 29 juin 2001, l’Office fédéral des migrations (ODM) a refusé sa demande «vu la manque de vraisemblance de ses motifs». Le 22 décembre 2003, la Commission de recours en matière d’asile (CRA) a confirmé ce rejet en insistant sur le manque de preuve. Par miracle, ce réfugié débouté a pu finalement obtenir une copie certifiée conforme d’un jugement le condamnant à neuf ans de prison. La CRA lui donnera l’asile le 25 novembre 2005. Et si le renvoi avait pu être réalisé dans l’intervalle?

Viol: un aveu si difficile…

Ce couple de la minorité ashkalie, au Kosovo, a fini par obtenir l’asile le 2 juin 2004, trois ans après avoir demandé l’asile. Mais cela n’a pas été sans mal. Le mari a été emprisonné cinq semaines pendant la guerre et l’épouse explique qu’en son absence, des membres de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) ont «tenté» de la violer. Ils ont ensuite fui en Serbie avant d’arriver en Suisse. Pas suffisant décrète l’ODM. Recours. Et ce n’est qu’après tout un travail avec un thérapeute que la vérité surgit, alors qu’elle était indicible à l’arrivée. Un viol collectif horrible que cette femme, par honte, ne pouvait raconter d’emblée. Ce couple n’avait pas de papiers d’identité. La nouvelle loi les condamnerait.

Les traumatismes on s’en moque

Les réfugiés trouveront-ils au centre d’enregistrement une oreille attentive capable de déceler sans risque d’erreur les cas problématiques pour éviter des décisions erronées avec la nouvelle procédure accélérée? Voilà le cas d’une femme bosniaque qui a vécu les pires horreurs pendant la guerre, et qui, vivant à la frontière entre les deux entités serbe et musulmane, a encore fait l’objet d’une tentative de viol des années après.

Lors de ses auditions, celle-ci déclare:

«J’ai souvent mal à la tête, je m’arrache les cheveux, je me griffe. Quelques fois je suis tellement nerveuse que je ne supporte pas mon enfant. En Bosnie, je n’avais pas le droit de me faire soigner. Je n’avait pas de droit» (27.10.05)…

«Je vous prie de me faire soigner car j’ai tellement mal à la tête tous les jours. J’ai envie de me reposer, d’oublier tous ces problèmes. Je vous en prie, si vous pouvez me faire soigner, si vous pouvez aider mon enfant. J’aimerais oublier le passé» (7.11.05).

Résultat? Cette femme ne recevra aucun soin au centre d’enregistrement, mais seulement une décision négative le 10 novembre 05, lui reprochant «de ne pas avoir déposé de certificat médical».

Yves Brutsch