Entretien | Jean Buttet, parrain d’une famille de requérants d’asile
Jean Buttet et sa femme Marianne sont un couple de retraités qui a décidé d’accompagner une famille vivant dans la semi-clandestinité dans ses démarches pour obtenir l’asile en Suisse. Un parcours du combattant riche en émotions dont le dénouement heureux fortifie l’utilité d’une telle expérience.Qu’est-ce qui a motivé votre démarche?
Le déclencheur a été une discussion fortuite avec un ami, député au Grand Conseil, qui m’a expliqué qu’il parrainait une famille de requérants d’asile. Ce parrainage avait été initié via la permanence d’église Point d’Appui. Soucieux de mettre une part de notre temps au service des autres, nous avons donc pris contact avec cette association. L’abbé Jean-Pierre Barbey nous a présenté une famille de requérants d’asile. Tout de suite, le courant a passé.
Quelle est l’histoire de cette famille?
S. a quitté son pays pour fuir la guerre civile. Il a déposé une demande d’asile et sa fiancée l’a rejoint une année plus tard, ils se sont mariés peu après et ont eu une petite fille. Leur demande d’asile a été rejetée et, après diverses démarches, ils ont reçu une décision de non-entrée en matière. Cette famille vivait depuis plus de 4 ans en Suisse, et depuis quelques mois dans la semi-clandestinité pour échapper à un plan de vol.
De quelle manière les avez-vous parrainés?
Après tant de moments difficiles et la peur constante pour leur avenir, leur moral était au plus bas. Il s’est donc agi de leur donner espoir et de les assister dans différentes démarches : prendre contact avec l’avocat, la psychologue, le médecin cantonal ou le jardin d’enfant. Nous avons aussi accompagné régulièrement Mme S. au Service de la population (SPOP) pour recevoir l’aide d’urgence, car elle parle mal le français et on ne sait jamais ce qui va se passer. De fait, un jour, le fonctionnaire du SPOP a voulu faire signer un document à Mme S., dans lequel elle acceptait d’entreprendre des démarches pour rentrer dans son pays ! Nous nous sommes également rendus à la Commission des pétitions pour la convaincre de renvoyer la nôtre au Conseil d’Etat avec un préavis favorable. Nous avons aussi pris contact avec les responsables du SPOP pour obtenir une prolongation de leur tolérance de séjour. Plus prosaïquement, nous avons aussi invité cette famille pour ramasser les feuilles dans notre jardin ou passer une journée de détente à Champittet.
Comment avez-vous vécu toutes ces démarches?
Cet accompagnement n’aurait pas été possible sans le sentiment très fort d’appartenir à une équipe. Nous ne comptons plus les réunions en commun avec S. et sa famille pour envisager la suite des démarches, les soutenir, les convaincre lorsqu’ils doutaient que nous étions vraiment avec eux et non pas à la solde du SPOP. Ce furent des moments souvent difficiles, mais forts et authentiques. Comme cette rencontre avec deux responsables du SPOP et de l’Etat qui ont accepté de nous écouter.
Comment cela s’est-il terminé?
Cette aventure, qui a duré 4 ans pour nous, mais plus de 8 ans pour la famille S. s’est bien terminée, puisqu’ils ont maintenant un permis B. Quelle émotion lorsque nous avons reçu un téléphone de S. nous annonçant que la décision de l’ODM était enfin positive! Aujourd’hui S. a trouvé un travail régulier comme nettoyeur, la famille ne vit pas sur l’or, mais leur appartement est sympathique, leur petite fille est en première primaire et se plaît beaucoup à l’école. Ils ont pu renouer des relations avec leurs familles restées au pays. En y réfléchissant, nous réalisons que cette famille a eu beaucoup de chance. Mais, elle a aussi favorisé cette chance, S. participait régulièrement aux séances et aux activités de la coordination asile.
Et vous, qu’avez-vous appris?
Tout d’abord une réalité que nous ignorions, celle des requérants d’asile et de leur lutte. Nous avons rencontré l’indifférence, voire l’hostilité, de certains membres du SPOP, mais aussi la réelle sympathie d’autres qui essayaient de rendre plus humaines des lois qui brisent les requérants. Tel ce fonctionnaire qui offrit un magnifique ours blanc en peluche à la petite fille. Mais surtout, ce qui nous restera c’est l’engagement, la profonde humanité, le rayonnement, parfois la colère ou la tristesse, de tous ceux qui luttent avec les requérants pour que leurs droits soient respectés et que leur vie soit meilleure. La lutte paie. Dans le canton de Vaud, tous les requérants accompagnés par un parrainage ont finalement obtenu un permis B. Et même s’il n’aboutit pas à un permis d’établissement, le chemin parcouru ensemble avec nos amis migrants reste une expérience forte et riche pour les uns et les autres.
Propos recueillis par Nicole Andreetta