Editorial | Le passé continue
C’est une note du 24 mai 1985, sobrement intitulée «quelques pistes de travail». Elle est signée par l’auteur de cet éditorial, auquel le Centre social protestant de Genève venait de confier un poste de «chargé d’information sur l’asile». Il est question dans ce mémo de prendre des contacts dans les pays d’origine pour savoir ce que deviennent les demandeurs d’asile refoulés, de constituer un réseau d’assistance juridique, de créer un matériel de sensibilisation à l’intention de la population, de mettre en place des plateformes d’échange au niveau cantonal, romand et suisse, et, last but not least, de lancer un «petit bulletin bimestriel diffusant régulièrement de l’information à tout les intéressés».
1985, c’est le moment où la politique d’asile a basculé définitivement de l’accueil au rejet. L’année des premières vagues de renvois, après une révision de la loi sur l’asile qui liait le refus de l’asile et le renvoi. Avec, début novembre, l’opération «automne noir» qui inaugura la pratique des « vols spéciaux » en Europe: 59 Zaïrois renvoyés par charter après avoir été arrêtés par surprise par les polices cantonales sur la base de décisions signées en blanc par l’Office fédéral. L’Etat de droit, déjà, était aux abonnés absents.
1985, c’est aussi la naissance d’un large mouvement de solidarité, dans le prolongement de certaines initiatives antérieures, avec de grandes manifestations de soutien, les premiers refuges dans des églises, et la multiplication de petits groupes de parrainage autour de déboutés pour arracher des permis humanitaires.
C’est dans ce contexte qu’est né en octobre 1985 un nouveau périodique, dont personne à l’époque n’imaginait qu’il paraîtrait encore en 2010. Vivre Ensemble, du nom d’un groupe de solidarité jurassien représenté dans le premier comité de rédaction, voulait catalyser la mobilisation en cours pour faire face à la dérive du droit d’asile, relier toutes les personnes solidaires des réfugiés et éviter l’isolement de ces derniers.
Il y a d’étranges similitudes entre ce qui se passait en 1985 et ce qui se passe aujourd’hui. L’usure et le découragement auraient pu prendre le dessus avec le temps, mais la solidarité n’a pas faibli. Et Vivre Ensemble continue de tenir son rôle de vigie et de porte-voix du mouvement de défense du droit d’asile. Avoir participé de bout en bout à cette aventure est une fierté. Au moment de quitter le comité de rédaction, j’aimerais remercier ici profondément toutes celles et ceux qui ont fait vivre ce «petit bulletin bimestriel», du lecteur anonyme au rédacteur régulier. Vivre Ensemble est aujourd’hui bien vivant. Et puisque ce journal reste plus nécessaire que jamais, je ne doute pas qu’il continuera d’entretenir la flamme de la solidarité aussi longtemps qu’il le faudra.
Yves Brutsch
président de Vivre Ensemble de 1985 à 2010