Aller au contenu
Notre regard

Nous voilà rentrés de Tunisie, où nous pensions passer une semaine de repos…

« Nous voilà rentrés de Tunisie où nous pensions passer une semaine de repos total à ne rien faire et à ne penser à rien… mais l’actualité en a décidé autrement. »*

Dès le début de la semaine, nous avons vu débarquer 350 réfugiés à l’hôtel, venant tous de Libye et n’ayant pas mangé depuis 5 jours… sacré choc pour nous autres ! J’ai réalisé en les regardant que je ne connaissais pas du tout la vraie faim. En tentant de communiquer avec eux, nous avons compris qu’ils n’avaient eu le temps de rien récupérer avant de partir et qu’ils n’avaient même plus de papiers. Ils travaillaient en Libye pour une grosse boîte allemande qui a gardé leurs papiers et n’a pas pris en charge leur rapatriement vers la Thaîlande.

Nous avons ensuite compris que la ville de Zarzis où nous nous trouvions était remplie de réfugiés, dormant dans tous les lieux publics, les mosquées et même chez l’habitant. Les Tunisiens ont conscience d’être à l’origine de ces révolutions et prennent à coeur leur responsabilité en accueillant les bras ouverts tous ces réfugiés. Ils étaient tous étrangers, employés en Libye comme main d’oeuvre à très bas prix, la plupart par des entreprises européennes…

Une belle leçon de solidarité…

Mardi, les ONG n’étaient pas encore sur place. Tout était pris en charge par l’armée et le peuple tunisien. Nous avons vu des familles entières dans Zarzis apporter leurs tapis et leurs matelas pour donner un lit aux réfugiés, les hommes distribuer les quelques médicaments qu’ils avaient, les femmes cuisiner d’énormes couscous et distribuer des parts dans les rues, les hôtels organiser des distributions de sandwichs et ouvrir grand leurs portes (sauf le Club Med…). Une belle leçon de solidarité…

Le mercredi, les coordinateurs d’ONG sont arrivés à l’hôtel. (…) 92 000 réfugiés avaient déjà passé la frontière, des campements de fortune s’étaient installés tout le long des routes, et toujours pas d’eau. Deux enfants étaient morts de froid dans la nuit. Les premiers campements du HCR ont été montés et des listes circulaient pour les denrées alimentaires manquantes. Spontanément, chacun s’est mobilisé pour charger des voitures, des charrettes, des taxis et aller remplir les entrepôts des ONG. C’était tout simplement incroyable.

A l’hôtel, les touristes ont aussi donné de l’argent. Jeudi, nous voilà partis, 4 touristes et 3 taxis, faire les courses avec cet argent, aller déposer tout cela sur le campement de l’armée tunisienne à la frontière libyenne. Mais nouvelle surprise: après les Thaïlandais, les Chinois et les Egyptiens, les nouveaux arrivants venaient du Bengladesh. Ils étaient apparemment les plus exploités, les plus démunis et avaient fait la route à pied depuis Tripoli. Lorsque nous sommes arrivés sur place, une procession de 10 km d’hommes avait déjà passé la frontière dans un calme impressionnant. Ils nous rencontraient avec le sourire, tout étonnés d’être accueillis, prenant en s’excusant et en nous bénissant les bouteilles d’eau que nous leur tendions.

Samedi soir, plus de 100’000 réfugiés avaient déjà quitté l’aéroport de Djerba à destination principalement de leurs pays d’origine, mais aussi quelques-uns vers l’Europe. A Zarzis et Djerba, tout s’est passé dans le calme et la spontanéité. Personne n’avait peur de personne (sauf au Club Med…) et chacun s’est senti avant tout concerné et responsable de ce qui est en train de se passer.

J’espère que nous entendrons parler (…) de la réaction du peuple tunisien, et pas seule-ment des sondages qui annoncent que 67% des Français ont déjà peur d’être envahis. (…) Ce mail est un peu long mais l’émotion a été très forte pendant toute cette semaine et j’avais besoin de la partager!

* Nom de l’auteure connu de la rédaction.

Ce témoignage individuel a été transmis fin mars par une personne proche de la Cimade Ile-de-France.