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Renvois forcés | Le décès du Nigérian serait d’origine « naturelle » selon la justice zurichoise

Renvois forcés | Nigérian décédé de mort naturelle

Article publié dans Le Temps par Valérie de Graffenried

Le Ministère public zurichois a clos son enquête concernant la mort d’un Nigérian sur le tarmac de Kloten en mars 2010, alors qu’il était sur le point d’être expulsé de force. L’avocat de la famille conteste ses conclusions. Amnesty juge également l’enquête du procureur «incomplète»
Sa mort avait déclenché une vaste polémique. Steve*, 29 ans, est décédé le 17 mars 2010 sur le tarmac de l’aéroport de Kloten alors qu’il était sur le point d’être renvoyé de force vers le Nigeria. Près de deux ans après le drame, le Ministère public zurichois clôt son enquête sur les causes du décès et affirme qu’elles sont «naturelles et internes». Les policiers qui l’ont ligoté pour l’expulser n’ont pas eu de comportement punissable pénalement, conclut-il.

Le Ministère public dit s’être basé sur deux autopsies «convaincantes». Elles concluent que le requérant débouté souffrait d’une grave maladie cardiaque pratiquement impossible à détecter de son vivant. La situation de stress lors du renvoi a favorisé l’arythmie cardiaque. Et sa grève de la faim a également pu jouer un rôle. Mais le Ministère public n’a constaté aucun manquement grave de la part de ceux qui encadraient le Nigérian.

Cette conclusion ne satisfait pas Viktor Gyöffri, l’avocat de la famille de Steve. Il a décidé de faire recours auprès de la Cour suprême du canton de Zurich. Il avait déjà exigé la poursuite de l’enquête pénale après les résultats de la deuxième expertise médicale de juillet 2011. Car des zones d’ombre subsistent. Les deux autopsies évoquent chacune une maladie de cœur différente.

Premiers secours entravés

Amnesty International juge aussi l’enquête du procureur zurichois «incomplète». La première expertise attribue le décès à une défaillance des fonctions de pompage du cœur, et la deuxième à une défaillance du mécanisme de commande. Pour Michel Romanens, le cardiologue mandaté par la famille, la maladie invoquée par le deuxième expert peut avoir deux effets. La personne affectée, à chaque fois qu’elle fait un effort, soit se rend compte de sa maladie, soit développe un mécanisme de compensation qui se met automatiquement en marche. D’après la famille du défunt, Steve jouait régulièrement au football sans ressentir les conséquences de sa maladie, ce qui laisse penser qu’il ait développé ce mécanisme de compensation, commente l’organisation.

Des secours adéquats auraient pu lui sauver la vie, juge Denise Graf, de la section suisse d’Amnesty. «Mais il n’est pas possible de faire un massage cardiaque et de prendre d’autres mesures de réanimation sur une personne attachée à une chaise par des liens», dénonce-t-elle. Amnesty pointe du doigt le fait que le Ministère public ne se soit pas prononcé sur l’efficacité des secours. Et maintient son exigence d’une enquête indépendante ou du renvoi du dossier au procureur pour complément d’enquête. «Le seul fait d’être proche de la cachexie (affaiblissement extrême de l’organisme, ndlr) pour avoir mené une grève de la faim durant 40 jours devrait, à mon avis, être une raison suffisante pour ne pas être expulsé de force», soulignait déjà Michel Romanens au Temps, après la première autopsie.

L’affaire avait poussé Berne à suspendre les vols spéciaux pendant plus d’une année. Et déclenché une crise diplomatique avec le Nigeria.
* Prénom fictif.

Amnesty International, Section suisse: Prise de position: Décès du jeune Nigérian: l’enquête du procureur zurichois est incomplète

Le Ministère public zürichois a clos l’enquête sur la mort d’un Nigérian durant son renvoi forcé en mars 2010. Les causes du décès sont naturelles et internes et l’on ne peut reprocher à des tiers un comportement punissable pénalement, a-t-il expliqué vendredi 19 janvier 2012, en se basant sur deux autopsies jugées «convaincantes».

Le Ministère public se réfère certes à deux expertises médicales différentes, mais sans prendre en compte le fait que ces dernières présentent des conclusions différentes et ne se prononcent pas sur la question de savoir si les secours sont intervenus en temps voulu et ont été efficaces.

Amnesty International se demande comment le procureur peut se permettre d’affirmer que les causes du décès sont claires alors que les deux expertises concluent à des causes de décès différentes. La première expertise attribue le décès à une défaillance des fonctions de pompage du cœur, alors que la seconde l’attribue à une défaillance du mécanisme de commande. Un expert cardiologue mandaté par la famille de la victime, estime que les deux conclusions sont spéculatives. Tout comme le deuxième expert mandaté par le procureur, il remet en question les conclusions du médecin légiste de Zürich.

Le cardiologue mandaté par la famille estime que la maladie invoquée par la deuxième expertise peut avoir deux effets possibles. La personne malade, à chaque fois qu’elle fait un effort, soit se rend compte de sa maladie, soit développe un mécanisme de compensation qui se met automatiquement en marche.

D’après la famille du défunt, celui-ci aurait régulièrement joué au football sans ressentir les conséquences de sa maladie, et il semble donc qu’il ait développé ce mécanisme de compensation. Celui-ci aurait pu lui sauver la vie si les secours étaient intervenus à temps et avaient été appliqués de manière efficace. «Il n’est pas possible de faire un massage cardiaque et de prendre d’autres mesures de réanimation sur une personne complètement entravée et attachée à une chaise par des liens», explique Denise Graf, coordinatrice asile de la Section suisse d’Amnesty International. «Dès lors que les deux experts mandatés par le procureur n’ont pas pris position sur l’efficacité des secours, le magistrat aurait dû s’assurer les services d’une personne compétente pour se prononcer à ce sujet.»

Amnesty International maintient son exigence d’une enquête indépendante ou, le cas échéant, au niveau du recours, du renvoi du dossier au procureur pour complément d’enquête.

23 janvier 2012