Permis F, un asile au rabais
Plus de 10’000 personnes vivent en Suisse depuis plus de sept ans au titre d’une admission… «provisoire» . Le caractère temporaire du statut est ainsi contredit par les faits : la majorité de ceux qui l’obtiennent finit par s’installer durablement en Suisse. Tenant compte de cette réalité, le Parlement fédéral avait en 2006, lors de la dernière révision de la loi sur l’asile, pris des mesures pour améliorer ce statut précaire. Une dynamique positive qui n’a pas fait long feu : le permis F est désormais la cible de durcissements législatifs aussi féroces qu’injustifiés, à contresens de la tendance européenne.
Révision de la Loi sur la nationalité
Les enfants de familles titulaires de permis F arrivent jeunes voire naissent en Suisse. Pour eux, qui grandissent et sont scolarisés dans notre pays, l’accès à la naturalisation permet d’échapper à la stigmatisation liée au permis F et d’exprimer leur souhait de s’intégrer durablement dans notre pays.
Cette porte pourrait se fermer bientôt : la révision totale de la loi sur la nationalité prévoit de limiter l’accès à la naturalisation aux seuls détenteurs du permis C. Avant d’introduire une demande de naturalisation, les enfants titulaires d’un permis F devront donc passer par l’obtention du permis B, puis celle du permis C. D’une part, le chemin sera bien plus long que les 12 années actuellement demandées, d’autre part ces jeunes pourtant parfaitement intégrés seront privés d’une stabilité optimale au moment pourtant crucial de leur entrée dans la vie adulte.
Ordonnance sur les documents de voyage pour étrangers
Les titulaires de permis F ont besoin d’un visa de retour pour revenir en Suisse s’ils veulent voyager à l’étranger. Auparavant, l’obtention d’un tel visa était soumise à des critères très stricts, privant cette population de toute possibilité de voyager en dehors de Suisse, par exemple pour rendre visite à leurs proches. En 2010, Eveline Widmer-Schlumpf avait assoupli cette pratique, offrant une véritable bulle d’oxygène pour des personnes cloîtrées tant mentalement que physiquement par leur statut. En 2011, quelques cas d’« abus » ont défrayé la chronique dans les médias alémaniques. Dans la lignée, plusieurs motions ont été déposées pour demander un nouveau durcissement. Et début 2012, un projet de révision totale de l’ordonnance a été soumis à consultation. Sans étudier de mesures intermédiaires pour lutter contre les abus constatés, l’administration propose de revenir plus ou moins à la pratique antérieure, interdisant le voyage en principe avec simplement de nouvelles exceptions pour des raisons humanitaires ou pour participer à une manifestation sportive ou culturelle. La médiatisation de quelques abus risque donc d’aboutir à une restriction disproportionnée de la liberté de circuler pour les quelque 23 000 personnes admises à titre provisoire qui vivent en Suisse.
Loi sur les étrangers et sur l’intégration
En novembre 2011, les services de Simonetta Sommaruga ont lancé un projet de révision partielle de la Loi sur les étrangers pour introduire un important volet sur l’intégration.
Il prévoit notamment d’ajouter aux conditions d’octroi de l’admission provisoire l’obligation de conclure une convention d’intégration fixant des objectifs que la personne concernée doit atteindre (connaissance de la langue, du «mode de vie suisse» (sic), etc.). Si les objectifs ne sont pas remplis, cela pourrait avoir des conséquences négatives sur le renouvellement de l’admission provisoire ou sur l’obtention d’un permis B. L’administration est clairement partie de l’idée que les personnes admises provisoirement ne veulent pas s’intégrer, d’où des contraintes à l’intégration. Le projet ne pipe en revanche mot sur les vrais obstacles à l’intégration, comme le caractère «provisoire» du statut qui engendre une instabilité psychologique terrible, le découragement face aux critères très hauts de l’obtention du permis B, l’information manquante aux employeurs quant aux possibilités d’accès au travail pour cette population, la reconnaissance de l’expérience professionnelle et des qualifications acquises dans le pays d’origine, etc.
Révision de la loi sur l’asile
La loi sur l’asile est aussi en cours de révision. Si le projet initial du Conseil fédéral épargnait l’admission provisoire, les parlementaires UDC n’ont pas manqué de formuler des propositions corrosives sur la question: éliminer la possibilité d’obtenir un permis B à partir du permis F, distribuer l’aide sociale uniquement en nature (distribuer des plateaux-repas au lieu d’une aide financière), limiter le permis F aux seuls ressortissants de pays en guerre (plus d’admission provisoire pour raison médicale), supprimer le droit au regroupement familial. Toutes ces mesures risquent fort de passer la rampe du Parlement et de se retrouver dans la loi.
Tendance européenne
En Europe, la tendance est plutôt à l’amélioration des conditions accordées aux bénéficiaires de la «protection subsidiaire», dénomination nettement plus digne que la nôtre. En décembre 2011, l’Union européenne a adopté des modifications de la directive dite «qualification» régissant entre autres le statut de la protection subsidiaire. L’UE a souhaité le renforcer: accès à une autorisation de séjour au bout de trois ans, renforcement des droits en matière de regroupement familial, d’accès à l’emploi et aux soins, etc. On est loin du tout-au-durcissement joué par les autorités suisses! Pourtant, ces changements font partie de l’acquis que la Suisse devra probablement respecter au moment où entrera en vigueur l’Accord de Dublin III (prévu fin 2012).
Des lois nationales contraires au droit international… on commence à connaître, non?
Aldo Brina, CSP-GE
L’admission provisoire, ou permis F, est ce statut que l’on octroie aux personnes qui n’obtiennent pas l’asile mais pour lesquelles on reconnaît que l’exécution du renvoi serait illicite, ou ne peut être raisonnablement exigée. L’admission est dite «provisoire» car elle peut être levée, en fonction principalement de l’évolution de la situation du pays d’origine (fin d’un conflit par exemple).
Fin 2011, plus de 23’000 personnes vivaient en Suisse au bénéfice de ce statut. Environ 16% des décisions de l’ODM ont abouti à l’octroi d’une admission provisoire. Plus du double si on ne tient pas compte des demandes écartées avant toute forme d’examen (NEM).
Ce statut a donc une importance considérable dans notre politique d’asile. Il est pourtant empreint d’une contradiction majeure : son caractère « provisoire » contraste avec la réalité. Dans la grande majorité des cas, les titulaires du permis F finissent par s’installer durablement en Suisse, parce qu’ils remplissent les conditions d’octroi du permis B ou de la naturalisation.