Accélérer les procédures? Une coquille vide
«Si la Suisse a enregistré 28’600 demandes d’asile l’année passée, les pays voisins de la Syrie – à savoir le Liban, la Jordanie, la Turquie et l’Irak – voient depuis début décembre affluer chaque semaine environ 25’000 réfugiés syriens sur leur sol.» (1)
En une phrase, l’ambassadeur Wild a résumé le gouffre qui sépare la réalité de la perception de cette réalité lorsqu’il est question de réfugiés.
La réalité, ce sont 2 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie. Un million de réfugiés hors de ses frontières. Dont l’immense majorité accueillie dans les pays limitrophes.
La réalité, en Suisse, ce sont deux contingents humanitaires de 36, puis 37 (!) personnes accueillies en septembre et en mars. Mais surtout la « mise en attente » par l’Office fédéral des migrations des «cas» syriens: leur procédure d’asile est bloquée le temps de voir l’évolution de la situation politique en Syrie. De l’avis des experts du Département fédéral des affaires étrangères, le conflit n’est pourtant pas prêt de se terminer. (lire p. 7) 2000 demandes ont été déposées entre 2011 et 2012, et la Suisse temporise?
L’hypocrisie est ici à son paroxysme. Politiques, législateurs, autorités n’ont de cesse de parler de politique «crédible», pour protéger les «vrais réfugiés». Voilà deux ans que la rhétorique de l’«accélération des procédures» est sur toutes les lèvres. Et lorsqu’ils sont ici, palpables, ces réfugiés persécutés par leur régime cherchant à sauver leur peau, les autorités leur font subir volontairement cette fameuse attente contre laquelle elles prétendent vouloir lutter! Ces personnes ont besoin de protection. Rien de plus simple que de leur accorder l’asile ou une protection provisoire. En refusant de statuer, la Suisse adresse un message politique aux Etats frontières avec la Syrie. Comment réagiront-ils?
Le 10 mars 2013, interviewé sur la RTS à propos des centres pour «récalcitrants», le Conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet affirmait, pêle-mêle, que la «grande majorité des demandeurs d’asile sont des réfugiés économiques». Que la vie des Genevois et des vrais réfugiés était pourrie par 250 «récalcitrants». Que la Suisse est trop généreuse, trop souple. Que même dans les Grisons, pour certains, «les conditions de vie sont mille fois meilleures que dans leur pays d’origine» (!) Et, enfin, que la capacité de rapidement dire aux demandeurs d’asile «si c’est oui ou si c’est non» était l’enjeu de la réforme fondamentale de Simonetta Sommaruga, sur laquelle le peuple suisse doit voter le 9 juin.
Or sur quoi doit-on voter le 9 juin? Sur la suppression des demandes d’asile aux ambassades. Sur la suppression de la désertion comme motif d’asile. Sur la mise en place de centres pour «récalcitrants» (p. 5). Sur la possibilité pour le Conseil fédéral de mettre en place des procédures «test», en réduisant par exemple les délais de recours.
Dire non à ces mesures urgentes revient en effet aussi à dire non à la Suisse des grands centres fédéraux, car tant les «tests» que les centres pour récalcitrants sont des pré-requis au projet Sommaruga (p. 2).
Mais dire «non» le 9 juin ne changera rien à l’accélération des procédures, qui n’a besoin d’aucune de ces mesures. L’exemple syrien le montre: il suffirait de traiter les demandes manifestement fondées et de rendre rapidement des décisions positives. C’est un choix politique.
Sophie Malka
Note:
(1) Discours de l’Ambassadeur Claude Wild, Direction politique DP, Département fédéral des affaires étrangères, lors du 5ème Symposium sur l’asile organisé le 31 janvier 2013 par l’OSAR et le HCR.