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Le Courrier | Strasbourg confirme la brutalité de la police genevoise

La Cour européenne accepte le recours d’un Burkinabé qui avait porté plainte contre les gendarmes en 2005.

Article de Pauline Cancela paru dans Le Courrier, le 25 septembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

[caption id="attachment_10862" align="alignright" width="300"]European_Court_of_Human_Rights-_Av._de_l'Europe Cour européenne des droits de l’homme.
Photo: CherryX[/caption]

C’est la fin de l’exception helvétique. Hier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné pour la première fois la Suisse au chapitre des violences policières. Les juges de Strasbourg ont validé la plainte d’un Burkinabé molesté par la police cantonale genevoise en 2005. La Confédération doit lui verser 25 700 euros de dédommagement pour torts moral, matériel et frais d’avocat.

«C’est une belle victoire pour les droits de l’homme, j’espère que le message sera entendu à Genève», se félicite Me Pierre Bayenet, l’avocat du plaignant. Avec cet arrêt, la Cour «condamne autant la police cantonale, pour sa promptitude à sortir les matraques, que la justice genevoise, pour son incapacité à gérer ces situations», poursuit-il.
La plainte du trentenaire, que les médias surnommaient Selif, date de 2005 déjà. Elle avait été classée sans suite par l’ancien procureur général Daniel Zappelli avant que le Tribunal fédéral ne l’oblige a reprendre son enquête sur la base d’un premier recours déposé par Selif. Le deuxième recours contre le classement définitif de la plainte a, lui, été invalidé par Mon-Repos, d’où l’appel à Strasbourg.

L’affaire a débuté un soir de mai dans l’ancien quartier d’Artamis, à Genève, connu des forces de l’ordre pour sa scène de deal. Approché par deux gendarmes, Selif, titulaire d’un permis B, est sommé de présenter ses papiers. Les policiers l’ont ensuite plaqué brutalement au sol – un constat médical a fait état d’une double fracture de la clavicule.

Une enquête bâclée

Dans sa plainte, la victime raconte aussi avoir été la cible de propos racistes et de menaces de mort. Une matraque se serait brisée sous la force des coups infligés par les pandores. C’est alors que le plaignant aurait mordu un des gendarmes, ce qui lui a valu d’être l’objet d’une plainte pour «violences contre les autorités et fonctionnaires».
La Cour reproche à la justice genevoise sa lenteur – cinq ans et six mois avant le classement définitif – et l’absence d’une enquête complète, en particulier s’agissant des coups reçus par Selif. Une contre-expertise aurait dû être faite concernant le bris de la matraque d’un des gendarmes.

A propos des violences, la CEDH parle d’un «usage disproportionné de la force». Le ressortissant burkinabé a donc bien été victime de mauvais traitements. Sans se prononcer sur la tenue d’injures racistes, les juges évoquent «avec préoccupation» le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de 2009, selon lequel il subsiste, en Suisse, des cas de comportements abusifs de la police à l’encontre des minorités.

Si la justice a fait un «saut qualitatif» depuis cette affaire, Me Pierre Bayenet regrette qu’il n’y ait pas «d’évolution significative» du côté des forces de l’ordre genevoises: «Nous continuons à recevoir des signaux alarmants.» Faut-il en effet rappeler que la police cantonale s’est fait épinglée il y a moins d’un an par le Conseil de l’Europe pour de telles dérives1?

La juge suisse minorisée

L’avocat de Selif salue la ténacité de son client, qui a beaucoup perdu dans l’aventure. Sa blessure l’avait empêché de reprendre son travail de bagagiste et il s’est retrouvé au chômage un certain temps. Les indemnités visent en partie à combler ce manque à gagner.
A noter que l’arrêt fait état d’une opinion dissidente, celle de la juge suisse, selon laquelle la Cour serait allée trop vite en besogne. Si elle le souhaite, la Confédération peut recourir auprès de la Grande Chambre dans les trois mois qui viennent. Or c’est peu probable que cette dernière, si elle est saisie, accepte de revenir sur ce jugement «sans précédent», estime Me Bayenet. (avec ATS)

Voir aussi:

En ce qui concerne les allégations d’injures à caractère raciste et les menaces de mort dont le jeune homme s’était plaint, la Cour prend note « avec préoccupation d’un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du 2 avril 2009. Selon celle-ci, il subsisterait en Suisse des cas de comportements abusifs de la police à l’encontre de « non-ressortissants, de demandeurs d’asile, de Noirs et autres groupes minoritaires », conclut Arcinfo.

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