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IRIN | Les réfugiés somaliens dans l’incertitude au Yémen

Cela fait huit ans qu’Esmahan Abdaqadir Ali a quitté la capitale somalienne Mogadiscio pour une nouvelle vie en Arabie Saoudite, et les choses ne se sont pas passées comme prévu. Pour commencer, elle n’a jamais pu atteindre sa destination.

Article publié sur le site d’IRIN, le 12 novembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site d’IRIN.

À son arrivée au Yémen en bateau, elle a automatiquement obtenu le statut de réfugié. Elle s’est ensuite mariée avant de tomber enceinte et de venir grossir les rangs de la communauté semi-permanente des réfugiés somaliens, qui compte 232 000 personnes d’après les estimations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

« Nous avons traversé tellement d’épreuves que nous ne pensons plus au lendemain ; nous essayons juste de vivre au jour le jour », a-t-elle déclaré à IRIN dans une crèche de la ville d’Aden, au sud du Yémen.

Cette mère de cinq enfants en bas âge, abandonnée par son mari, vit de la mendicité – un moyen de survie courant chez les réfugiés somaliens, y compris ceux qui sont ici depuis des dizaines d’années, dans le pays le plus pauvre de la région.

La plus grande communauté de réfugiés au Yémen est confrontée à un dilemme ; la plupart des Somaliens seraient prêts à rentrer chez eux s’ils en avaient la possibilité, déclarent les chefs communautaires d’Aden, la ville du sud.

« Les Somaliens sont moins nombreux à arriver – c’est pareil pour les Éthiopiens maintenant. La situation en Somalie s’améliore et les gens savent que leurs chances de passer en Arabie Saoudite sont beaucoup plus minces », a déclaré à IRIN Saleh Hassan, du Conseil danois pour les réfugiés (DRC).

En réalité, très peu sont ceux qui arrivent à traverser la frontière avec l’Arabie Saoudite, car le pays a durci sa politique en matière d’immigration clandestine, expulsant des centaines de milliers de travailleurs étrangers, notamment des Somaliens. Les Saoudiens ont intensifié le contrôle aux frontières et, cette année, ils ont annoncé la reprise des travaux de construction d’une barrière de sécurité renforcée à la frontière.

Une délégation envoyée par le nouveau gouvernement somalien s’est rendue au Yémen en avril, où elle a rencontré le HCR pour discuter des possibilités de retour volontaire des réfugiés, quand les conditions dans le sud et le centre de la Somalie se seront améliorées. Actuellement, le HCR finance un nombre de retours limité grâce à un programme de rapatriement volontaire dirigé par l’Organisation internationale des migrations (OIM) au nord de la Somalie, dans la région du Puntland et au Somaliland. Mais l’aide au retour est insuffisante et les volontaires doivent obtenir une autorisation des autorités des deux régions somaliennes pour pouvoir s’y rendre.

Les soulèvements du Printemps arabe et l’instabilité qui en a résulté au Yémen ont aggravé une situation économique déjà difficile. Le taux de pauvreté est passé de 35 pour cent en 2004 à 42 pour cent en 2009. La crise politique de 2011 a provoqué une chute de 12 pour cent du PIB, selon le Fonds monétaire international.

Dans le golfe d’Aden, en Somalie, il y a parfois quelques lueurs d’espoir qui laissent entrevoir la fin de deux décennies de violences. Les parlementaires ont élu un nouveau président au mois de septembre 2012 – les premières élections depuis 1967, ce qui a permis de mettre officiellement un terme à la période de transition. La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et les Forces de sécurité nationales somaliennes (SNSF) ont étendu leur zone de contrôle et, en janvier dernier, le gouvernement américain a reconnu le nouveau gouvernement somalien pour la première fois depuis 1991.

Suite à ces changements, le nombre de Somaliens qui tentent la dangereuse traversée du golfe en partant de la Corne de l’Afrique pour se rendre au Yémen a beaucoup diminué au cours des dernières années, passant de 27 350 personnes en 2011 à 23 086 en 2012, d’après les chiffres du HCR.

Au cours des neuf premiers mois de 2013, 9 709 nouveaux réfugiés somaliens ont été enregistrés au Yémen.

Vingt années d’exil

Le HCR a commencé à travailler au Yémen en 1987 et a intensifié ses actions dans le Sud à partir de 1992 pour faire face aux arrivées massives de réfugiés somaliens.

« La vie est dure ici. Quand les gens nous appellent de Somalie, nous leur disons de rester là-bas », a déclaré à IRIN le cheik Absher Hassan Youssef, qui dirige le conseil communautaire somalien à Aden.

Le conseil siège à Basateen, un quartier de la ville. Les bidonvilles du quartier abritent près de 20 000 réfugiés, en majorité somaliens – l’une des plus grandes concentrations urbaines de réfugiés au Yémen (avec Sanaa et Mukalla).

« Il y a dix ans, la vie était plus facile, mais à cause de la crise économique, il n’y a pas de travail ici. Il n’y a pas d’emplois. Nous devons payer un loyer. Cela crée des tensions dans les couples à cause des conditions de vie si difficiles », a déclaré M. Youssef.

Certains préfèrent vivre dans le camp de réfugiés de Kharaz, dans le gouvernorat voisin de Lahj, qui accueille près de 17 000 réfugiés, somaliens pour la plupart. Là-bas, la vie peut être moins pénible grâce au HCR et à ses partenaires qui fournissent de la nourriture, un toit et une éducation.

Dans les villes et les autres zones densément peuplées, il y a plus de possibilités d’emplois pour les Somaliens – tâches ménagères, travaux agricoles dans les fermes urbaines et vente au porte-à-porte (beaucoup de femmes yéménites passent la majeure partie du temps chez elles, d’où l’avantage de la vente).

Mais les conditions de vie sont souvent difficiles pour les Somaliens citadins. Beaucoup partagent les coûts d’une location et divisent leur logement en plusieurs pièces, chacune pouvant abriter des familles entières – parfois jusqu’à deux parents et neuf enfants – avec seulement une salle de bain par logement pour tout le monde.

À Aden, plusieurs projets humanitaires fournissent des services essentiels à la communauté, notamment un centre pour les enfants handicapés et un foyer pour les enfants vulnérables. Deux des enfants d’Esmahan vont à la crèche de Basateen – le quartier le plus défavorisé de la ville – qui est dirigée par l’ONG (organisation non gouvernementale) locale, At-tadhamon. Près de 350 enfants, somaliens pour la plupart, sont suivis dans l’établissement où ils reçoivent des repas quotidiens et profitent de sorties au parc hebdomadaires.

« De nombreuses familles habitent ici depuis 10-15 ans ; la plupart sont très pauvres », a expliqué la directrice de la crèche, Sara Mohamed Saeed. « Il y a peu de possibilités d’emploi et beaucoup dépendent des distributions de nourriture des organisations des Nations Unies. Les hommes mâchent du « khat » et les femmes font des ménages ou mendient. »

Né au Yémen

Quand les nouveaux arrivants se rendent à Aden pour la première fois, ils se regroupent souvent à l’ombre d’un grand arbre à Basateen. La communauté leur fournit un hébergement temporaire pendant une dizaine de jours.

Khader Adam Hussein, un réfugié somalien aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années, a fui le nord de Mogadiscio en 2003 et gagne quelques rials en lavant les voitures des Yéménites.

« Quand nous sommes arrivés, nous ne pouvions pas communiquer avec les Yéménites, mais maintenant, je me débrouille. La situation est extrêmement difficile pour la communauté somalienne », a déclaré à IRIN M. Hussein.
« C’était très bien avant, quand le gouvernement était plus puissant. Si la situation continue comme cela, j’envisagerai de rentrer, mais je ne sais pas vraiment quoi faire là-bas. Nous restons en contact avec notre pays seulement en regardant la télévision. Mais un jour, si Dieu veut, je retournerai là-bas. »

Le fils de M. Hussein est né au Yémen et, contrairement à ses parents, il parle couramment arabe et somali – un phénomène commun chez les enfants de réfugiés somaliens qui n’ont jamais connu le pays d’origine de leurs parents et ont moins d’attaches avec la culture somalienne.